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Retour aux sources Lyon Opéra 10/13/2025 - et 15*, 17, 19, 21, 23, 25 octobre2025 Modeste Moussorgski : Boris Godounov Dmitry Ulyanov (Boris Godounov), Iurii Iushkevich (Féodor), Eva Langeland Gjerde (Xénia), Dora Jana Klaric (La nourrice), Sergey Polyakov (Le Prince Vassili Chouïski), Alexander de Jong (Andreï Chtchelkalov), Maxim Kuzmin-Karavaev (Pimène), Mihails Culpajevs (Grigori), David Leigh (Varlaam), Filipp Varik (Missaïl, L’innocent), Jenny Anne Flory (L’aubergiste), Hugo Santos (Nikititch)
Chœurs de l’Opéra de Lyon, Benedict Kearns (chef des chœurs), Maîtrise de l’Opéra de Lyon, Clément Brun (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra de Lyon, Vitali Alekseenok (direction musicale)
Vasily Barkhatov (mise en scène), Zinovy Margolin (scénographie), Olga Shaishmelashvili (costumes), Alexander Sivaev (lumières)
 (© Jean-Louis Fernandez)
L’Opéra de Lyon ouvre sa saison lyrique avec Boris Godounov dans une mise une scène bien contestable mais avec une éclatante distribution.
L’Opéra de Lyon, en choisissant de donner la version « initiale » de Boris Godounov, composée en 1868‑1869, celle‑là même refusée par le comité de lecture des Théâtres impériaux et plusieurs fois révisée avant sa création à Saint‑Pétersbourg en 1874 (version dite « originale »), suit la tendance actuelle à revenir vers un Boris plus ramassé, en quatre actes et sept tableaux. Cette version « initiale » ; plus proche de Pouchkine, qui accorde une part plus centrale au peuple russe et offre une orchestration plus authentique que les versions révisées plus tard, notamment par Rimski‑Korsakov en 1886 et Chostakovitch en 1940, fait éclater la grande modernité de Moussorgski.
Dans la mise en scène de Vasily Barkhatov, sa première sur une scène française, on est plus proche de l’univers de Lars von Trier que de Pouchkine, plus à Dogville qu’au Kremlin. Le régisseur moscovite déclare, dans une interview incluse dans le programme de salle, avoir été impressionné par la réalisation zurichoise très intimiste de Barrie Kosky qui, pandémie covid oblige, avait dû restreindre sa mise en scène aux seuls solistes. Or, son travail, s’inscrivant dans une scénographie étouffante, compliquée et laide de Zinovy Margolin, propose exactement le contraire avec un peuple russe cyberconnecté dispersé sur des praticables étagés sur la scène vide pour la première partie et pour la seconde une immense aire de jeu dans un centre de soins pour enfants, le tsarévitch Féodor étant (entre autres approximations et excentricités) un enfant autiste. L’œil est très distrait et peine souvent à suivre l’action, qui peine à décoller. Fort heureusement, les personnages principaux restent, malgré un mélange d’époques dans les costumes, assez crédibles et plutôt bien dirigés.
Cette régie qui disperse l’action plutôt que de la concentrer n’apporte aucun regard nouveau sur l’œuvre, ni politique (et pourtant le livret traite de la tragédie du pouvoir autoritariste et absolu et de opposition à la religion), ni psychologique, ni sociétal. N’est pas Dmitri Tcherniakov qui veut...
Musicalement, l’oreille était à la fête avec, malgré leur grande dispersion dans l’espace, une très belle prestation du Chœur et de la Maîtrise de l’Opéra de Lyon (préparés par Benedict Kearns et Clément Brun) et de son orchestre dirigé par le chef biélorusse Vitali Alekseenok. Sa direction plutôt rude, mettant en avant cuivres et percussions, introduisant sur scène de vraies cloches orthodoxes fabriquées en Ukraine et laissant les chanteurs respirer et s’intégrer au tissu orchestral, était un point fort du spectacle.
La distribution, d’une belle homogénéité et composée presque entièrement de chanteurs russophones, était dominée par le Boris de très grande classe de Dmitry Ulyanov. Le Russe est une véritable basse chantante avec le timbre sombre d’une basse noble comme le souhaitait Moussorgski pour son Boris « initial », avec une projection parfaite, un contrôle idéal du volume et un phrasé exemplaire ; il lui manque seulement, la mise en scène s’y prêtant peu, un peu plus d’aura que le poids de sa stature imposante pour être un immense tsar. Magnifiques aussi l’Innocent du ténor estonien Filipp Varik, artiste de l’Opéra Studio de Lyon, déjà remarqué dans le Peter Grimes de la saison précédente, à la présence scénique bouleversante, notamment dans sa plainte finale que le metteur en scène a choisi de déplacer à la dernière scène de l’opéra, le Chouïski rusé à souhait du ténor russe Sergey Polyakov et les moines de l’auberge Varlaam (David Leigh) et Missaïl (Filipp Varik encore).
Les deux moines du couvent, autant Grigori (Mihails Cujpajevs) que Pimène (Maxim Kuzmin-Karavaev), donnaient un relief saisissant à cette scène clef de l’œuvre. Impeccable aussi l’élément féminin, très réduit dans cette version, avec la Nourrice de Dora Jana Klaric, la Xénia d’Eva Langeland Gjerde et l’Aubergiste de Jenny Anne Flory. Le contre‑ténor russe Iurii Iushkevich se fondait scéniquement parfaitement dans la proposition étrange de Vasily Barkhatov et donnait avec sa voix androgyne un relief très crédible au tsarévitch Féodor.
On ne doute pas que cette mise en scène, qui aurait gagné à être présentée sans entracte, ait ses adeptes. On gardera de cette soirée le souvenir d’une grande réussite musicale.
Olivier Brunel
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