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Coup de balai sur les Ballets Russes

Paris
Théâtre des Champs-Élysées
09/29/2002 -  

Claude Debussy : Jeux, poème dansé

Wolfgang-Amadeus Mozart : Concerto pour piano en ut mineur, n° 24, KV 491

Igor Stravinsky : L'Oiseau de Feu, Suite n° 2


Paul Badura-Skoda (piano)

Orchestre des Concerts Lamoureux, Yutaka Sado (direction)



Il n'est guère surprenant que les auditeurs de la première de Jeux, en 1913, fussent désappointés devant l'extrême hardiesse déployée par un Debussy, au faîte de sa maturité compositionnelle. Cette oeuvre émane d'une commande du Grand Manitou de l'époque des Ballets Russes, Serge Diaghilev, conçu autour du Ballerin merveilleux : l'inévitable Nijinski. En fait, peu importent l'argument chorégraphique (d'une insigne bêtise) et les cabrioles dudit Nijinsky - que l'auteur de Pelléas ne goûta d'ailleurs que fort modérément. La partition est fabuleuse, per se, et n'a que faire d'encombrants sautillements.



A l'instar de Bartok, mais reposant sur une esthétique différente (quoique...), Debussy aura écrit en quelque sorte son Concerto pour Orchestre, émaillé de subtiles couleurs chromatiques, usant de la gamme par tons, et jouant de la polytonalité - ce qui justifie le titre de l'œuvre. Il s'agit d'une iridescente guirlande de sons scintillants avec des jeux de timbres et des effets harmoniques féériques (célesta,cor et harpe) qui génèrent une sonorité pure au sens «webernien» du terme.



Les rythmes brisés, les tempi imprévisibles et la raucité de certains passages sanguins (une influence de Stravinsky, dont Debussy connaissait la partition explosive du Sacre, créée aussi en mai 1913), contrastent avec les mouvements plus ondins évoquant quelque paysage marin (vagues réminiscences de La Mer ?) ; ou encore des motifs scherzandi ! L'Apprenti sorcier de Paul Dukas n'est pas loin. Autre moment fort, le mystérieux prélude, mi-fantastique, mi-onirique, qui rappelle les accords initiaux de La Chute de la Maison Usher, dans lesquels sourd un secret terrifiant, inavouable - fragment d'un opéra laissé en jachère par Debussy.



Yutaka Sado, à la tête du rutilant Orchestre Lamoureux, cisèle chaque nuance et nervure de cette broderie complexe, par son enchevêtrement de fils mélodiques. Précision diabolique, sens aigu de la ductilité et de l'exacte respiration de cette fresque : tout cela démontre à quel degré de science orchestrale parvient Debussy. D'ailleurs, en maestro attentif, le chef tour à tour électrique, suave - jamais froidement analytique -, met en évidence l'étroite connivence qui unit parfois Jeux et Le Sacre précité. Le wagnérisme implicite de la musique (mélismes parsifaliens), ainsi que certaines formules, anticipent sur Roussel.



Toujours au menu, l'incomparable Concerto pour piano n° 24 du Salzbourgeois, avec au clavier, un anti-Fazil Say : Paul Badura-Skoda à la digitalité souveraine est un pianiste, un vrai. Par deux fois (Eurodisc et Astrée), il a enregistré l'intégrale des Sonates pour piano de Mozart. Sa miraculeuse humilité renvoie à celle de cette Mozartienne hors pair, Maria-Joao Pires. Sa virtuosité, ainsi que sa technique exemplaire sont évidentes, et font l'économie de toute démonstration clinquante et creuse. Encore que ce Concerto ait l'étonnante particularité de récuser - justement - la moindre virtuosité stricto sensu.



Sa lecture pudique, sobre, s'enroule autour d'un lyrisme introspectif, tendu. Cela confine au pathétisme le plus implacable, au cours du Larghetto anthologique. Même les mouvements impétueux : Allegro et Allegretto ne se départissent jamais de cette chape de ténèbres qui plombe chaque mesure, comme des spasmes d'agonie. Interprétation majeure, avec entre autres celles d'Edwin Fischer (live de 1954), de Glenn Gould (Sony, Susskind 1962) ; ou encore de Clara Haskil (Philips, Markevitch 1961 avec l'Orchestre… des Concerts Lamoureux).



L'ombre d'un instant, par la grâce de cette approche visionnaire, l'on pressent de manière quasi tangible le dramatisme exarcerbé du Premier Concerto pour piano de Brahms à venir ; voire les aspérites de celui, extraordinaire et méconnu, de Reger. En bis, un impromptu de Schubert en mi bémol majeur, redoutable sous son apparente désinvolture, servi avec cette brillance aristocratique.



In fine, la deuxième suite de L'oiseau de Feu, tres brève hélas. Force est de reconnaître que l'on eût pris un malin plaisir à entendre l'intégalité du ballet. Yutaka sado gouverne son équipage en authentique capitaine courageux et hisse le grand foc de Stravinsky à des cimes rarement atteintes. Son arsenal ? Une panoplie de cordes translucides, des percussions cinglantes - et une batterie de cuivres presque infaillible, en dépit de quelques infimes décalages vers la fin.


Les Parisiens auront la joie dès le 6 Octobre de le retrouver pour un Concert Bernstein ; répertoire dans lequel le chef japonais est sans rival. Gageons que Daphnis et Chloé de Ravel, ou la Tragédie de Salomé de Florent Schmitt ne pourraient avoir meilleur défenseur que ce musicien éclectique (écouter son disque Ibert chez Naxos).





Étienne Müller

 

 

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