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Othello, le retour Madrid Teatro Real 09/19/2025 - et 20, 22, 23, 25, 26, 28, 29 septembre, 2, 3, 5, 6 octobre 2025 Giuseppe Verdi : Otello Brian Jagde*/Jorge de León/Angelo Villari (Otello), Asmik Grigorian*/Maria Agresta (Desdemona), Gabriele Viviani*/Vladimir Stoyanov/Franco Vassallo (Iago), Airam Hernández (Cassio), Enkelejda Shkoza (Emilia), Albert Casals (Roderigo), In Sung Sim (Ludovico), Fernando Radó (Montano, Un hérault)
Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), José Luis Basso (chef de chœur), Pequenos Cantores de la Comunidad de Madrid, Ana González (cheffe de chœur), Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Nicola Luisotti*/Giuseppe Mentuccia (direction musicale)
David Alden (mise en scène), Jon Morrell (décors, costumes), Adam Silverman (lumières), Maxime Braham (chorégraphie)
 B. Jagde, A. Grigorian (© Javier del Real/Teatro Real)
Il y a neuf ans, on faisait le compte rendu de cette même production d’Othello présentée par le Teatro Real pour inaugurer sa saison. Avec une autre distribution, assurément, mais on peut adresser les mêmes critiques à la laideur des décors et la mise en scène en général, voire les mêmes louanges à la direction d’acteurs. On a encore la même déception envers le manque de définition sociale du protagoniste, un marginal qui est arrivé trop haut, qui plus est en terre d’autrui. Ce qu’on appelle inconsistance de statut : très haut pour les honneurs et le pouvoir, très bas dans la plus profonde considération de soi.
Je ne répéterai pas ce que j’écrivais alors, car on peut s’y référer. Il faut cependant regretter que le trio décisif de 2015 ait été supérieur à celui de 2026, sans pour autant que la distribution ne soit pas méritoire. Exception : comme prévu, Asmik Grigorian, dont la carrière polyvalente, le sens dramatique et la vérité lyrique et théâtrale rayonnent sur la scène internationale depuis plusieurs années – sa merveilleuse Jenůfa à Londres, sa Tatiana à Berlin, sa Rusalka à Madrid, sa Lisa (La Dame de pique) à Saint‑Pétersbourg et Munich, sa récente Polina (Le Joueur, Prokofiev) à Salzbourg... et aussi ce que l’on peut désormais considérer comme sa maîtrise de Verdi et de Puccini. Du duo d’amour du premier acte à cet adieu à la vie du quatrième acte, le Chant du saule et l’adieu fatal, son filato est palpitant, c’est à couper le souffle. Heureusement, car peu de choses nous ont fait palpiter en cette occasion.
Brian Jagde est un excellent ténor lyrique, avec des atouts dramatiques, même si cela ne semble pas toujours lui être d’un grand secours. Après un Esultate peu convaincant, il s’est repris et a soutenu avec un bon souffle la prestation impeccable du chœur. L’irrégularité de son chant rendait imprévisibles ses éventuels manques de nuance. Le duo d’amour était prometteur. La tragédie finale vacille ; un féminicide sans grande tragédie sur scène, malgré ce qu’exprime la partition.
Gabriele Viviani souffre de ce dont souffrent beaucoup de barytons aujourd’hui : un manque de graves. Mais il possède un bon médium, et même les aigus, et gère sans difficulté des moments attendus avec impatience comme son Credo diabolique. La froideur entre les deux personnages est surprenante ; leur relation devrait être empreinte d’une chaleur particulière, celle de la haine de l’un face à l’angoisse de l’autre. Brian Jagde possède une présence physique si séduisante qu’il semble peu probable qu’il périsse devant Viviani.
On l’a déjà dit en 2015 : ce trio de voix ne laisse guère d’opportunités aux autres. Au moins, un Cassio très adéquat, un ténor dont les ailes de jeune premier sont coupées par l’intrigue : Airam Hernández convainc néanmoins dans ses moments de protagoniste manqué. Albert Casals est discret, peut‑être trop discret, dans le rôle de Roderigo, très succinct chez Boito, tandis que la voix d’Enkelejda Shkoza est trop faible dans le rôle d’Emilia.
Déçoivent parfois des moments de tension un peu trop manqués, comme la crise pendant la réception des ambassadeurs à l’acte III. Le chœur est formidable, dès l’étonnant début où Verdi a voulu nous saisir, nous émouvoir d’emblée, et il réussit toujours, mais seulement si l’on dispose d’un chœur comme celui‑ci, préparé par José Luis Basso. Le chœur, dans un tel opéra, a une importance accrue, car il est un acteur collectif (peuple, ambassadeurs) avec les solistes. Dans la fosse, c’est une baguette formidable que celle de Nicola Luisotti : faisant face à la froideur inadéquate de la scène, il alterne moments réussis et baisses de tension.
Mais, globalement, une production à succès, digne du Teatro Real, même si pas à la hauteur – encore la hauteur – de ses atouts majeurs. L’éclat de l’inauguration du théâtre s’est plutôt trouvé dans la foire aux vanités que dans l’accueil réservé à la tragédie – cela vous étonne‑t‑il, monsieur ?, pourrait‑on me rétorquer.
Santiago Martín Bermúdez
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