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Déconcertant et ensorcelant Vienna Konzerthaus 05/23/2025 - et 21 (Hamburg), 22 (Berlin), 25 (München), 26 (Basel), 27 (Paris), 28 (Toulouse) mai 2025 Dimitri Chostakovitch : Concerto pour violoncelle n° 1, opus 107
Anton Bruckner : Symphonie n° 7 Sol Gabetta (violoncelle)
Sächsische Staatskapelle Dresden, Tugan Sokhiev (direction)
 S. Gabetta (© Julia Wesely)
Six mois après son passage au Musikverein (voir ici), l’orchestre de la Staatskapelle de Dresde se retrouve dans la grande salle du Konzerthaus, qui offre une acoustique plus enveloppante, subtilement moins analytique, mais aussi un confort global indiscutablement supérieur. Les deux œuvres au programme s’opposent dans leur vision, mais se rejoignent dans leur audace interprétative. D’un côté, le Premier Concerto pour violoncelle de Chostakovitch, d’une lenteur calculée, progressant comme une machine colossale et dévastatrice, dont on ne peut réchapper. De l’autre, une symphonie de Bruckner jubilatoire, portée par un élan vital qui nourrit des tempi vifs et mobiles.
En première partie, il aurait été facile de tomber dans le piège de la froideur mécanique, en se bornant à radiographier sans supplément d’âme la partition de Chostakovitch. C’est exactement l’inverse qui se produit grâce à trois éléments convergents : d’une part, grâce la vision cohérente de Tugan Sokhiev, qui découpe des blocs sonores avec une précision d’orfèvre ; d’autre part, la sonorité extraordinaire de l’orchestre de Dresde, qui tempère cette rigueur sans la rugosité anguleuse des interprétations soviétiques historiques, l’enveloppant d’une texture à la fois mate et soyeuse ; enfin, l’exceptionnelle qualité du violoncelle de Sol Gabetta, qui, tout en épousant la sobriété de l’orchestre, s’y oppose pourtant avec une ténacité discrète, y insufflant une foule d’intentions lyriques fondées sur les variations de densité du son, d’amplitude et de vitesse du vibrato, ainsi qu’une gestion millimétrée des glissandi. Rarement aura‑t‑on un équilibre entre orchestre et soliste aussi parfaitement maîtrisé ; chaque phrase est habitée avec une concentration que l’on imaginerait mieux en studio d’enregistrement qu’en salle de concert. Les amateurs d’un spectacle sportif, laissant chef et soliste saluer chemise mouillée et chevelure en bataille, devront repasser.
Avec Bruckner, Tugan Sokhiev fait un pari opposé. S’appuyant sur la qualité intrinsèque de l’orchestre de la Staatskapelle, dont la longue tradition brucknérienne n’est plus à faire, il l’emmène vers des horizons assez éloignés des standards habituels. Le premier mouvement adopte un ton très narratif, quasi opératique (les liens qui unissent le compositeur à Wagner deviennent subitement très apparents), la fluidité du discours gommant les grandes carrures qui structurent habituellement l’œuvre ; l’Adagio surprend par sa sensualité, illuminé par les coloris subtils des progressions harmoniques ; le Scherzo, habité d’un esprit dionysiaque, se déroule sans la moindre inertie, porté par une impeccable mise en place rythmique, et des relances parfaitement calibrées à l’acoustique de la salle. Enfin, un gigantesque final parvient à rééquilibrer le centre de gravité habituel de l’œuvre, marquant contrastes et changements de tempo avec une liberté digne d’un poème symphonique.
Ce Bruckner déconcerte au point de susciter l’interrogation : hors‑sujet ou révélation ? Pour nous, aucun doute : la musicalité et la profondeur du travail, la sincérité de la vision du chef qui emporte l’adhésion de l’orchestre nous font applaudir sans réserve cette lecture audacieuse, démontrant une fois encore la capacité de cet orchestre héritier de plus de quatre siècles de traditions musicales à se remettre en question dans chacune de ses prestations.
Dimitri Finker
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