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Le premier Faust... de Gounod

Lille
Opéra
05/05/2025 -  et 7, 10, 12*, 15, 17, 20, 22 mai, 2025
Charles Gounod : Faust
Julien Dran (Faust), Vannina Santoni/Gabrielle Philiponet* (Marguerite), Jérôme Boutillier (Méphistophélès), Lioniel Lhote (Valentin), Juliette Mey (Siebel), Anas Séguin (Wagner), Marie Lenormand (Dame Marthe), Alexis Debieuvre, Léo Reybaud (comédiens), Julie Dariosecq, Elsa Tagawa (danseuses), Arthur Dreger/Alice Leborgne (L’Enfant)
Chœur de l’Opéra de Lille, Mathieu Romano, Louis Gal (chefs de chœur), Orchestre national de Lille, Louis Langrée (direction musicale)
Denis Podalydès (mise en scène), Bertrand Couderc (lumières), Eric Ruf (décors), Cécile Bon (chorégraphie), Christian Lacroix (costumes)


(© Simon Gosselin)


Un concert des Champs-Elysées nous avait rappelé, il y a sept ans, que Faust était d’abord un opéra‑comique en quatre actes précédés d’un Prologue, avec dialogues parlés et mélodrames. Ce Faust de 1859, créé au Théâtre‑Lyrique, n’était pas tout à fait celui en cinq actes destiné à l’Opéra dix ans plus tard. On n’y entendait pas l’air de Valentin, la Ronde du veau d’or, le « Gloire immortelle de nos aïeux ». A l’église le chœur chantait des paroles plus tard confiées à Méphisto, la Nuit de Walpurgis ne comportait pas de ballet. A Lille, après avoir lu de près l’édition critique de Paul Prévost, Louis Langrée va plus loin que Christophe Rousset aux Champs, toujours sous les auspices du Palazzetto Bru Zane. A la Chanson de Maître Scarabée, plus tard remplacée par le Veau d’or, il préfère la Chanson du nombre treize, qu’il réintègre dans le sabbat des sorcières. Il rétablit, à la suite de l’air de Faust, une cabalette naguère retrouvée... dans une brocante, où Faust exprime sa mauvaise conscience. Il situe la Scène de l’église après et non plus avant la mort de Valentin. Pour ne rien dire des modifications de détail d’une partition à l’autre, que les lyricomanes reconnaissent aussitôt.


Après Le Comte Ory et Fortunio, à l’Opéra‑Comique, Falstaff à Lille, le trio Podalydès-Ruf-Lacroix reprend du service. Costumes d’époque, pour restituer un imaginaire. Décor sobre, endroit et envers, peu meublé, pour nous rappeler que Faust, à l’origine, relève du théâtre populaire. Une tournette, sorte de roue du destin, enferme les personnages à l’intérieur d’un huis‑clos dont ils ne sortiront pas. Tout est plongé dans la pénombre, l’opéra devient un nocturne oppressant, où les deux acolytes d’un Méphisto « majordome sinistre » mettent en branle une machine infernale qui broiera des créatures trop fragiles – ou trop sûres d’elles‑mêmes, comme Valentin. La première victime est l’enfant du péché, repoussé et moqué par tous, tué enfin par sa mère désespérée, omniprésent ici. Le diable prend les traits manipulateur insolent et trouble, mauvais garçon et mauvais génie, cigare à la bouche, plus subtilement pervers que dans la version ultérieure. C’est sur lui que s’achève le spectacle, comme si l’histoire ne s’arrêtait pas avec la rédemption de Marguerite – une façon, peut‑être, d’annoncer le Second Faust en référence à Goethe.


Les dialogues parlés constituent souvent la pierre d’achoppement des opéras‑comiques représentés. On pouvait faire confiance à Denis Podalydès pour transformer les chanteurs en comédiens accomplis. Sa direction d’acteurs, exigeante, millimétrée, les identifie à des personnages qui, dans ce premier Faust de Gounod, ont plus d’épaisseur que dans le second. Du pur théâtre, sans le recours à la vidéo, cache‑misère de certaines mises en scène. Le diable de Jérôme Boutillier est à cet égard littéralement épatant, avec des mots que le chanteur fait claquer à travers une déclamation exemplaire. On oublie du coup que son baryton manque de grave pour le rôle. Julien Dran, lui, exhibe une voix à la fois puissante et homogène, au médium et au grave nourris, à l’aigu insolent – jusqu’au contre‑ut, un peu trop insistant à la fin de la cabalette. Il peut aussi trouver des nuances subtiles, oser des diminuendi dans les aigus. Un Faust ardent et tourmenté, pas moins stylé que le diable, moins raffiné cependant qu’un Benjamin Bernheim. Vannina Santoni est une Marguerite à la jeunesse brisée, avec un aigu généreusement déployé, seulement un rien courte à partir du médium, qui fait évoluer son personnage, passe de la fraîcheur innocente de l’air des bijoux aux accents à la fois pudiques et déchirants de celui du rouet, très délicatement phrasé. Sans être un baryton héroïque, Lionel Lhote incarne un Valentin brave soldat et frère implacable, à la ligne sûre, bien campé sur ses aigus. Juliette Mey restitue la jeunesse adolescente de Siebel, exemplaire par la rondeur du timbre et la délicatesse du chant. Anas Séguin a de la présence en Wagner, pas très discipliné vocalement néanmoins – lui que la seconde version privera, dans le Prologue, de son Trio avec Faust et Siebel. La Dame Marthe de Marie Lenormand, truculente mais sans excès, complète la distribution.


A la tête d’un orchestre lillois donnant le meilleur de lui‑même comme le chœur dirigé par Matthieu Romano et Louis Gal, Louis Langrée joue sur tous les registres de la partition, tour à tour léger ou tragique, intimiste ou grandiose, tendant ou relâchant l’arc du drame en vrai chef de théâtre. Très attentif aux timbres, il sait créer de belles atmosphères – valse sur les pointes à l’acte I, suggestif mouvement du rouet aux cordes en ouverture de l’acte IV, noirceur ténébreuse, oppressante, de la scène de l’Eglise. Il devrait s’intéresser à Mireille...


Cette production est un exemple à méditer pour l’Opéra de Paris. Elle confirme en effet, s’il en était besoin, que l’on peut réunir une distribution de qualité satisfaisant aux canons du chant français sans quitter l’Hexagone – avec, certes, une incursion en Belgique du côté de Valentin. A la tête de l’institution depuis deux décennies, Caroline Sonrier réussit sa sortie. Ne manquez pas ce Faust à l’Opéra‑Comique, à partir du 21 juin.



Didier van Moere

 

 

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