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Art brut Vienna Musikverein 04/22/2025 - et 27 avril 2025 (Stockholm) Johannes Brahms : Ballades, opus 10
Ludwig van Beethoven : Symphonie n° 3, opus 55 (transcription Franz Liszt) Igor Levit (piano)
 I. Levit (© Julia Wesely)
Lorsqu’Igor Levit entre sur scène, tout de noir vêtu – chemise noire ouverte sur un t‑shirt noir que l’on imagine volontiers à message (du type « No War » ou « No Bullshit ») –, il affiche la démarche désinvolte d’un millennial que l’on pourrait croiser dans un café branché de Berlin. Jaugeant d’un regard expert la composition du public, il s’installe au piano avec la conscience de celui qui s’apprête à délivrer un message essentiel. Aucune posture marketing, aucun désir de flamboyance : seule la musique subsiste, à l’état brut. Polie, certes, par des dizaines de milliers d’heures de travail, mais dont l’immédiateté miraculeuse parvient à faire oublier l’artiste et même l’instrument.
Les quatre Ballades de Brahms ouvrent le programme. Peu d’effets visibles, une interprétation décantée, apaisée, mais riche en contrastes subtilement dosés laissent chaque pièce affirmer son caractère propre, tout en créant un parfum d’unité sonore guidée par l’évolution des tonalités (ré mineur, puis ré majeur, suivi de si mineur et si majeur).
Le goût d’Igor Levit pour le contraste – teinté d’un soupçon de provocation dans un objectif de révélation auditive – nous amène en un pas des clairs‑obscurs brahmsiens vers les débauches sonores de la transcription lisztienne de la Symphonie « Héroïque » de Beethoven. Il faut ici savoir résister à la tentation de comparer versions pianistique et orchestrale. Notons simplement que certains mouvements restent plus fidèles que d’autres à la richesse symphonique originale : alors que le Scherzo semble être taillé pour le piano, l’Allegro con brio initial offre en revanche un rendu fort différent de la partition beethovénienne.
Là aussi, le miracle opère : ni les écueils techniques, ni la virtuosité extrême n’entravent la force du discours, le pianiste conduisant cette musique avec la même sobriété rigoureuse que dans les partitions de Brahms, imposant sa puissance sans forcer son instrument, refusant tout compromis sur les tempos, la texture ou la densité du son. Un prélude de choral de Bach dans un arrangement de Busoni, Nun komm, der Heiden Heiland, donné en bis, referme la boucle.
Même les multiples interruptions – trois sonneries de téléphone portable, un vibreur insistant, une sonnerie de téléphone filaire qui semble provenir d’un bureau voisin, et enfin un appel de trompette filtrant de la salle Brahms adjacente – ne parviennent à troubler ce récital exigeant, Igor Levit semblant tolérer ces intrusions comme faisant partie intégrante de l’expérience offerte.
Dimitri Finker
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