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Make Russia Great Again

Salzburg
Grosses Festspielhaus
04/12/2025 -  et 21 avril 2025
Modeste Moussorgski : La Khovantchina
Vitalij Kowaljow (Le Prince Ivan Khovanski), Thomas Atkins (Le Prince Andreï Khovanski), Matthew White (Le Prince Vassili Galitsine), Ain Anger (Dossifeï), Nadezhda Karyazina (Marfa), Daniel Okulitch (Le boyard Chaklovity), Natalia Tanasii (Emma), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Le scribe), Allison Cook (Susanna), Daniel Fussek (Streshnev), Theo Lebow (Kouzka), Rupert Grössinger (Varsonofiev)
Slovenský filharmonický zbor, Jan Rozehnal (chef de chœur), Bachchor Salzburg, Michael Schneider (chef de chœur), Salzburger Festspiele und Theater Kinderchor, Wolfgang Götz, Regina Sgier (chefs de chœur), Radion sinfoniaorkesteri, Esa‑Pekka Salonen (direction musicale)
Simon McBurney (mise en scène, chorégraphie), Rebecca Ringst (décors), Sebastian Alphons (lumières), Christina Cunningham (costumes), Tom Visser (lumières), Will Duke (vidéo), Leah Hausman (assistante à la mise en scène, mouvements), Gerard McBurney, Hannah Whitley (dramaturgie), Tuomas Norvio (sonorisation)


N. Karyazina (© Inés Bacher)


Opéra laissé inachevé par Moussorgski, La Khovantchina est une œuvre qui a été complétée et réorchestrée par Rimski‑Korsakov, Ravel, Stravinski et, pour cette soirée, par Gerard McBurney, musicologue et frère du metteur en scène. Comme pour Les Contes d’Hoffmann, on n’entend jamais exactement la même œuvre. Par rapport à une production jouée à Paris en 1994 par le Kirov, le rôle de Streshnev est ici confié à un sopraniste, et surtout l’opéra ne se termine pas par le chœur des vieux croyants mais par un duo, un peu long, entre Marfa et le Prince André.


Ces ajouts, bien qu’intéressants, n’apportent pas fondamentalement grand‑chose au drame. Nul ne sait comment Moussorgski aurait achevé son opéra, mais si Boris Godounov est une œuvre compacte et organique, La Khovantchina reste un patchwork sur une musique géniale qui raconte scènes de foule, jeux de pouvoir, prophéties d’une voyante, déclarations de désirs plus que d’amour et, comme dans de nombreux opéras, la disparition de pratiquement tous les protagonistes.


L’une des caractéristiques de la conception de Simon McBurney est justement de ne pas chercher à imposer une continuité absente de l’œuvre. La première partie est assez classique, mais il faut reconnaître qu’il y a de belles trouvailles après l’entracte. L’utilisation d’une vidéo projetant l’action sur un grand écran fonctionne bien, et un moment particulièrement saisissant survient lorsqu’une quantité de terre tombe sur scène avant le suicide collectif des vieux croyants.


L’action est modernisée et évoque plus une certaine dérive autoritaire américaine. Le Scribe écrit sur un portable mais ne publie pas le texte de peur de représailles. Parmi les boyards se trouve un chaman rappelant celui qui a participé à l’invasion du Capitole à Washington le 6 janvier 2021. Les surtitres en anglais sont volontairement parsemés de références contemporaines : le Prince Ivan Khovanski est ainsi appelé Boss et, point culminant, le texte cite mot pour mot Make Russia Great Again.


Pourtant, dans la scène suivante, même si les conseillers du Prince Galitsine utilisent des téléphones portables, Marfa prédit l’avenir dans de l’eau claire. Ceci pourrait être un symbolisme montrant que dès le début, elle sait que tout finira mal. Mais après tant de modernisme, cette scène paraît bien anachronique voire plaquée.


D’une certaine manière, cette conception correspond bien à la direction d’Esa‑Pekka Salonen. La clarté de sa battue est impressionnante et la précision qu’obtient le chef finlandais de ses troupes est impeccable. Mais ce Moussorgski alerte et rythmé manque par moments de lyrisme et d’émotion, voire d’une certaine ligne directrice. On assiste à une suite de moments remarquables plutôt qu’à un tout cohérent. Les cordes de l’Orchestre de la Radio finlandaise sont parfois un peu monochromes, tandis que certains pupitres aux vents sont superbes. A quelques rares moments, certains passages sont trop forts et saturent. Peut‑être avons‑nous dans cette salle trop de souvenirs de soirées où Berlinois et Viennois occupaient la fosse.


Les chœurs omniprésents offrent une large dynamique. Les voix sont jeunes et atteignent par moments un volume impressionnant. La distribution est de très haut niveau. Le rôle du Scribe correspond parfaitement au ténor de caractère qu’est Wolfgang Ablinger-Sperrhacke. Ain Anger est un Dossifeï très humanisé, trouvant probablement les phrasés les plus émouvants. Thomas Atkins, en prince éconduit, trouve de beaux accents lyriques. Vitalij Kowaljow, remarquable Pimène à Munich la saison passée et à Genève en 2018, impressionne par l’amplitude de sa voix et l’autorité qu’il dégage. En Marfa, Nadezhda Karyazina dispose de moyens considérables, capable de tenir de longs passages avec une grande ligne.


En fin de compte, voici une soirée intéressante avec des moments forts très réussis. Mas on ne peut s’empêcher de penser que, même si ce que Moussorgski nous a laissé est d’un très grand niveau, l’œuvre qu’il aurait pu achever aurait été bien plus homogène, plus dramatique et convaincante.



Antoine Lévy-Leboyer

 

 

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