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Passages de relais Normandie Deauville (Salle Elie de Brignac‑Arqana) 04/12/2025 - Claude Debussy : Trois Nocturnes pour deux pianos (transcription Maurice Ravel) [1]
Maurice Ravel: La Valse pour deux pianos [2]
Ernest Chausson : Concert pour piano, violon et quatuor à cordes en ré majeur, opus 21 [3] Augustin Dumay, Omer Bouchez, Vassily Chmykov (violon), Paul Zientara (alto), Maxime Quennesson (violoncelle), Gabriel Durliat [1, 2], Philippe Hattat [2], Arthur Hinnewinkel [1], Kojiro Okada [3] (piano)

Le premier des sept concerts du vingt-neuvième Festival de Pâques de Deauville s’est ouvert comme il est de tradition par une présentation générale de l’édition 2025 due au directeur artistique du festival depuis ses débuts, soit près de trente ans, Yves Petit de Voize.
Il rappelle ainsi l’esprit du festival, les anciens mettant le pied à l’étrier aux plus jeunes à leurs débuts dans la carrière, autour d’une charte en principe immuable mettant l’accent sur des chefs‑d’œuvre du répertoire mais dont le volet musique de vingtième siècle est cette année bien faible. En 2025, on est déjà à la cinquième génération et c’est le violoniste et chef d’orchestre Augustin Dumay (soixante‑seize ans) qui est venu cette fois soutenir et passer le relais à de jeunes interprètes de talent qui, comme leurs prédécesseurs, ne tarderont pas à être célèbres, on n’en doute pas. C’est d’ailleurs grâce à lui, et Maria João Pires, indique le directeur artistique, que le festival a pu trouver un point de chute sur la côte normande à une époque où personne ne croyait à sa survie. Ce soutien aux jeunes talents a, il est vrai, une grande importance chez le grand violoniste, maître en résidence à La Chapelle musicale Reine Elisabeth de Bruxelles depuis quelque temps et certains musiciens du festival sont à la fois en résidence en Belgique et à la Fondation Singer‑Polignac à Paris.
Mais Yves Petit de Voize n’omet évidemment pas dans son discours de remerciements cette dernière ainsi que le Groupe Barrière, essentiel à la vie économique locale, le maire de Deauville et l’Association des Amis de la musique à Deauville. Il termine en signalant à nouveau l’existence du label b·records, qui diffuse les meilleurs enregistrements des festivals. Au nom de l’association, Philippe Mandonnet, son secrétaire général, n’est pas en reste et intervient pour sa part pour saluer successivement les bénévoles, les fidèles musiciens, les partenaires du festival et naturellement son infatigable directeur artistique. Enfin, la trésorière de l’association, Béatrice Dorfner, lance un appel pour davantage d’adhésions : elles sont essentielles à son fonctionnement et au festival. Elle a raison : pour qu’un festival perdure, il faut que l’intendance suive et que les moyens soient là, indéfectibles.
Après ces propos introductifs, habituels mais aussi utiles que justifiés, place à la musique ; le concert peut démarrer.
Il débute par Trois Nocturnes pour deux pianos (1899) de Claude Debussy (1862‑1918), subtilement transcrits (1909) par Maurice Ravel (1875‑1937), à la demande du premier. Arthur Hinnewinkel et Gabriel Durliat doivent dominer des Steinway surpuissants. Ils y parviennent pour faire passer quelques « Nuages » délicats dans le ciel normand, à la manière de Boudin. Avec « Fêtes », ils jouent sur un fort contraste et font place, grâce à leur brio, et à ces instruments, au son passablement métallique, à une gaité assez flamboyante pour ne pas dire rutilante. Les « Sirènes », aux courbes infinies se lovent ensuite dans une multitude de scintillements mais le duo est un peu moins bien agencé.
Philippe Hattat remplace ensuite rapidement Arthur Hinnewinkel pour une nouvelle Valse (1920) de Ravel, une œuvre au programme il y a près de vingt ans au même endroit, dans une interprétation dont on se souvient fort bien – Bertrand Chamayou et Jonas Vitaud étaient à la manœuvre –, une œuvre qu’on entend décidément bien souvent ailleurs et qu’on risque d’entendre encore dans cette nouvelle année Ravel, tournant décidément en rond. La lecture est ici plutôt tapageuse, voire brouillonne. Ce sont des ferraillements avec beaucoup de prises de risques et bien peu de distance. On se croit au front ; ça explose de partout. Les graves sont frappés comme des enclumes et écrasent tout comme un char d’assaut.
 G. Durliat, K. Okada, A. Hinnewinkel, P. Hattat (© Stéphane Guy)
On restera un peu dans le même style avec le bis. Gabriel Durliat annonce que, puisque quatre pianistes sont réunis ce soir, il serait dommage de ne pas les réunir tous ensemble. Belle idée en effet. Ils s’attaquent donc à la « Marche hongroise » de La Damnation de Faust d’Hector Berlioz (1803‑1869), bien que celui-ci n’aimât pas le piano, dans un arrangement fort curieux d’Ange‑Marie Auzende (1850‑1940). C’est une pochade et nos jeunes s’en donnent à cœur joie. Gabriel Durliat en rajoute même pour taper avec le plat de la main les cordes graves de son piano, pour faire la grosse caisse. Dieter Hildebrandt, dans Le Roman du piano (Actes Sud, 2003), reprend un texte autant acerbe que délirant de Berlioz décrivant un concours de piano au Conservatoire. On n’en est pas loin. Mais les pianistes se sont bien amusés et le public, qui a reconnu le tube, est absolument ravi.
En seconde partie, on entend une nouvelle fois à Deauville, après 2006, 2009 et 2023, le Concert (1891) d’Ernest Chausson (1855‑1899). Augustin Dumay devait le jouer en 2023 mais en avait été empêché par une mauvaise chute. Rétabli, il est heureusement parmi nous cette année. On reste à peu près dans la même période de l’histoire de la musique française que celle évoquée dans la première partie du programme mais c’est la fin du cycle franckiste alors que Debussy et Ravel ouvrent d’autres perspectives, après une autre sorte de passage de relais finalement. L’œuvre est évidemment magnifique mais l’interprétation déçoit. Augustin Dumay ne cherche pas à s’imposer, ne tire pas la couverture à lui, mais ne guide pas, n’entraîne pas. Nonobstant son immense expérience, ses attaques sont parfois disgracieuses et son imprécision surprend. Son absence de fermeté dans le discours conjuguée à un piano abusant de pédale finit par nuire au jeu somme toute maîtrisé de ses jeunes collègues aux cordes.
Le public applaudit néanmoins chaudement et obtient sans peine une reprise de la « Sicilienne » en bis, quelque peu brinquebalante cette fois. La présence d’Augustin Dumay, fondateur du festival, constituait assurément un beau symbole mais, du point de vue musical, on attend beaucoup mieux de la suite du festival. Tant de talents sont réunis !
Le site du Festival de Pâques de Deauville
Stéphane Guy
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