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Quand la vision manque, le retour aux sources ne convainc pas Paris Philharmonie 04/04/2025 - et 1er (Praha), 10 (Köln) avril, 14 juin (Dresden), 12 septembre (Luzern) 2025 Richard Wagner : Siegfried Thomas Blondelle (Siegfried), Christian Elsner (Mime), Derek Welton (Der Wanderer), Daniel Schmutzhard (Alberich), Hanno Müller‑Brachmann (Fafner), Gerhild Romberger (Erda), Asa Jäger (Brünnhilde), Soliste du Tölzer Knabenchor (Waldvogel)
Dresdner Festspielorchester, Concerto Köln, Kent Nagano (direction)
 K. Nagano (© Antoine Saito)
Wagner historiquement informé, comme on dit, passé au crible de l’organologie et de la musicologie – que le programme de salle n’en dise rien est scandaleux. Qui attendait le baroqueux Concerto Köln dans la Tétralogie ? Tel est pourtant l’orchestre, renforcé par celui du Festival de Dresde, que depuis L’Or du Rhin présenté en 2023, dirige Kent Nagano. Voici Siegfried à la Philharmonie.
Le concept, évidemment, est d’emblée passionnant. On entend d’autres couleurs, dès le début. On perçoit d’autres dynamiques, la forge, par exemple, sonne moins fort. Certains moments sont réussis, comme la fin de l’acte II, toute en légèreté. Tout semble plus vert, avec un diapason plus bas. Reste à savoir si l’on privilégie l’authenticité du propos ou la force de la vision. Or on la cherche chez Kent Nagano, remarquable analyste, mais pas narrateur pour un sou, échouant aussi à créer des atmosphères. Le mystère de la forêt au début du II, la poésie des Murmures, l’ironie grinçante de la dispute haineuse des deux frères plus loin, la montée du désir à l’acte III, l’ébriété jubilatoire de la fin ? Rien. On ne s’incline que devant la rigueur, la clarté, le souci du détail. Mais la clarté n’est nullement l’apanage de ce Wagner nouveau avec tout le confort ancien : de Clemens Krauss à Kirill Petrenko, en passant par Böhm, Karajan et Boulez, beaucoup ont montré l’exemple sans oublier ni les couleurs ni le théâtre. Quant à l’orchestre, il reste moyen, les cordes paraissent parfois ternes, voire sèches – ne parlons pas du cor naturel dans la forêt. Bref, tout ça pour ça ?
Vocalement, ce n’est pas toujours très convaincant. Thomas Blondelle laisse ainsi une impression très mitigée. On est épaté par le comédien, ado voyou moqueur et tête à claques, puis jeune homme découvrant l’amour. Par l’intelligence des mots ensuite. Mais il tombe dans son propre piège : le mot finit par l’emporter sur la note, une espèce de Sprechgesang lui tient lieu de ligne. Au prix, au début, de fâcheux problèmes de justesse. La tessiture n’est pas très homogène non plus : à partir du la – et il y en a beaucoup à la fin de l’acte I – l’émission devient problématique. Certes, il arrive intact à la fin, conservant une certaine fraîcheur du timbre.
Si la voix avait plus de corps à partir du bas médium, nous tiendrions avec Asa Jäger une Brünnhilde de haut vol, au phrasé parfaitement galbé, à l’aigu d’acier, mais une grande partie du rôle reste située au centre de la tessiture. Le Wanderer de Derek Welton manque aussi de grave, sans beaucoup d’éclat dans l’aigu non plus, ce qui écrête parfois les extrémités de la ligne, alors que le personnage est bien là, humain trop humain, condamné à observer ce dont il a perdu la maîtrise.
Le Mime de Christian Elsner évite tout histrionisme, préservant les droits du chant, inversant du coup le rapport avec Siegfried au I c’est plutôt lui qui chante et le Wälsung qui parle. Dommage que, curieusement, il devienne presque pâle au II. Si son frère Alberich doit forcer ses moyens pour avoir la noirceur dont son timbre est dépourvu, Daniel Schmutzhard éructe sans se débrailler tout le fiel de celui auquel échappe toujours l’anneau qu’il a maudit. Plutôt baryton basse que basse, Hanno Müller‑Brachmann a‑t‑il, de son côté, la couleur et le format de Fafner ? Pas vraiment, mais dans ce concert où tout le monde est à l’échelle humaine, il se trouve à l’unisson de l’ensemble. Gerhild Romberger également, toujours impeccable musicienne, à qui fait défaut la profondeur des graves de la déesse de la terre. Le choix d’un soprano garçon pour l’Oiseau, enfin, nous laisse sceptique : on en apprécie la jolie fraîcheur, mais il chante beaucoup trop bas son la aigu – et là aussi il y en a beaucoup.
Didier van Moere
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