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Un Requiem humain

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
04/05/2025 -  
Johannes Brahms : Ein deutsches Requiem, opus 45
Rosalia Cid (soprano), Michael Volle (baryton)
Chœur de Radio France, Johannes Prinz (chef de chœur), Orchestre national de France, Daniele Gatti (direction)


D. Gatti (© Marco Borggreve)


Après une Neuvième Symphonie de Gustav Mahler (28 mars) et un concert Mozart et Beethoven (2 avril) donnés à l’Auditorium de Radio France, Daniele Gatti, directeur musical de l’Orchestre national de France de 2008 à 2016, était ce soir à nouveau au pupitre de son ancien orchestre, cette fois au Théâtre des Champs‑Elysées. Au programme, une œuvre chorale et non la moindre, puisqu’il s’agissait du Requiem allemand de Brahms. Une soirée à marquer d’une pierre blanche.


Daniele Gatti dirige avec baguette et par cœur, dans des tempi plutôt lents parfaitement assumés. Il le fait avec une évidente concentration, une grande souplesse et un legato de tous les instants qui fait peut‑être parfois perdre un peu de précision. Mais quelle importance, tant l’interprétation est habitée à chaque instant par une ferveur et une puissance émotionnelle rares.


Dès la première partie (« Selig sind, die da Leid tragen ») et l’entrée du chœur sur le mot « Selig », comment ne pas être impressionné ! Le pianissimo irréel du chœur, la richesse de la polyphonie parfaitement équilibrée, l’importance donnée au mot, le respect des multiples nuances du compositeur (les crescendi et decrescendi sont réalisés avec maîtrise et élégance) qui perdurent durant tout le premier mouvement, fascinent. Il en sera de même tout au long de cette interprétation mettant d’abord en avant la partie chorale. La marche funèbre de la deuxième partie (« Denn alles Fleisch, es ist wie Gras ») n’est ni lourde ni surchargée. L’allegro non troppo qui la termine est conduit avec une belle énergie concentrée et jamais exagérée. Dans la troisième partie (« Herr, lehre doch mich »), Michael Volle, qui n’a plus rien à prouver, n’en fait ni trop peu ni pas assez. Son intervention colle parfaitement au texte, il ne l’interprète ni comme un chanteur d’opéra (qu’il est souvent), ni comme un chanteur de lieder (qu’il est parfois), mais plutôt comme un chanteur d’oratorio, ce qui est en plein accord avec l’œuvre. La reprise de son intervention la seconde fois, chantée dans un beau piano, émeut encore plus.


La quatrième partie (« Wie lieblich sind Deine Wohnungen ») est une merveille de poésie. Et ici aussi la reprise du thème par le chœur dans un pianissimo assumé est superbe. Rares sont les chefs, et les chœurs, qui parviennent à une telle nuance dans ce passage si émouvant. Dans la cinquième partie (« Ihr habt nun Traurigkeit »), l’intervention de la soprano galicienne Rosalia Cid est toute de délicatesse et de grâce. Elle répond à merveille aux sollicitations du chef, notamment en termes de nuances et de phrasé, et parvient aussi à de merveilleux pianissimi tels que demandés par le compositeur. Le timbre est lumineux, l’intonation parfaite et la puissance est là lorsque nécessaire. Le dialogue avec le chœur, qui une fois encore réussit des pianissimi saisissants sur les mots « einen seine Mutter » est très abouti. Dans sa seconde intervention de la sixième partie (« Denn wir haben hie keine bleidende Statt »), Michael Volle montre la variété de ses possibilités interprétatives. Sa diction précise, son souffle parfaitement conduit, lui permettent, dans cette partie plus narrative que sa première intervention, de toucher l’auditeur au cœur. Dans la dernière partie (« Selig sind die Toten »), le chœur retrouve l’esprit de la première partie. Diction, nuances, musicalité sont au rendez‑vous jusqu’à l’apothéose finale dans laquelle les voix aiguës rayonnent sans excès avant l’apaisement ultime.


Le Chœur de Radio France, préparé par Johannes Prinz, directeur du Wiener Singverein depuis 1991, a montré ce soir une grande capacité à répondre à la direction de Daniele Gatti et aussi très certainement à la préparation dans le détail faite par le grand chef de chœur autrichien, que l’on sait très attaché aux nuances. Le résultat est, d’un point de vue choral, saisissant. La seule limite de cette interprétation avant tout chorale (mais qui s’en plaindra ?) est la place somme toute modeste et parfois un peu en retrait laissée à l’Orchestre national, emmené ce soir par Luc Héry. Il assume toutefois son rôle sans faiblesse mais sans vrai caractère.


Ce concert fut donc un très beau moment de musique chorale mené par un Daniele Gatti qui a semblé ce soir au sommet de son art, offrant un Requiem humain comme l’a sans doute imaginé Brahms. Et comment ne pas penser en cette soirée magique aux grands chefs italiens du passé – notamment à Claudio Abbado ou Carlo Maria Guilini, qui aimaient tant cette œuvre, leur apportant, tout comme Daniele Gatti ce soir, la lumière et l’espoir ?


Le chef d’œuvre choral de Brahms sera à nouveau donné à la Philharmonie de Paris le 3 septembre prochain. Pour l’occasion, le Gewandhaus de Leipzig sera placé sous la direction d’Andris Nelsons. On pourra aussi entendre à nouveau Daniele Gatti dans une œuvre chorale majeure, le Requiem de Verdi, le 30 mai 2026 à la Philharmonie de Paris à la tête de la Staatskapelle de Dresde dont il vient de prendre la direction. Dans les deux cas, la partie chorale sera assurée par le Chœur de l’Orchestre de Paris.



Gilles Lesur

 

 

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