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Quand Purcell se perd dans le sable

Geneva
Grand Théâtre
02/20/2025 -  et 22*, 23, 25, 26 février 2025
Henry Purcell : Dido and Æneas
Marie-Claude Chappuis (Dido, Sorceress, Spirit), Francesca Aspromonte (Belinda, 2nd  Witch), Jarrett Ott (Æneas, A sailor), Yuliia Zasimova (2nd Woman, 1st Witch), Eurudike De Beul (comédienne)
Chœur du Grand Théâtre de Genève, Mark Biggins (préparation), Le Concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm (direction musicale)
Franck Chartier, Peeping Tom (mise en scène et décors), Justine Bougerol (décors), Anne‑Catherine Kunz (costumes), Giacomo Gorini (lumières), Atsushi Sakaï (composition et direction des musiques additionnelles), Raphaëlle Latini (conception sonore), Clara Pons (dramaturgie)


(© Magali Dougados)


Didon et Enée de Purcell est actuellement à l’affiche à Genève, dans une production qui aurait dû être présentée en mai 2021, mais la pandémie en a alors décidé autrement. Si le Grand Théâtre voulait être tout à fait honnête, il devrait préciser sur ses affiches « spectacle d’après Purcell », tant ce qui se passe sur scène n’a absolument rien à voir avec le chef‑d’œuvre du compositeur britannique. Tromperie sur la marchandise ? Oui, clairement. Estimant la durée de l’ouvrage un peu courte (50 minutes), le metteur en scène Franck Chartier et son collectif de danseurs Peeping Tom ont décidé de compléter l’action par une intrigue parallèle et de saucissonner la partition en l’entrecoupant de scènes parlées et dansées qui se déroulent sur des compositions d’Atsushi Sakaï, violoncelliste et membre du Concert d’Astrée, lequel dirige l’orchestre pour ces musiques additionnelles, quand il n’est pas sur scène à jouer de son instrument.


Une riche veuve d’un certain âge – incarnée par la comédienne Eurudike De Beul, confondante de présence et d’engagement – inconsolable depuis la mort de son mari, tombe amoureuse de l’un de ses domestiques récemment arrivé à son service en compagnie de son fils. Se prenant pour la reine Didon, elle demande à ses serviteurs de jouer sans cesse l’opéra de Purcell, ce qui permet aux deux histoires de se recouper. Le spectacle se joue dans un décor oppressant sur deux niveaux : en bas, la chambre à coucher de la riche veuve, constituée de trois parois de bois, dont l’une est jalonnée de fenêtres donnant sur la mer ; en haut, un parlement ou un tribunal dont les estrades sont occupées par les choristes. A l’acte II, on le sait, une magicienne décide de contrarier les amours de Didon et Enée en déclenchant un orage. Ici, elle arrache une prise électrique et du trou dans la boiserie va se déverser du sable, toujours en plus grande quantité. Le sable arrive aussi des fenêtres et des cintres et va recouvrir tout le plateau. A la fin, Didon se couche sur le sol avant de s’enfoncer lentement sous le sable puis disparaître complètement. En soi, les images sont superbes, de toute beauté, et les prestations des danseurs tout simplement époustouflantes, nous assistons à un spectacle total, avec des musiques qui subliment le mystère et la tension.


Le hic, on l’a dit, c’est que le spectacle n’a rien à voir, ou si peu, avec Didon et Enée. La musique de Purcell est charcutée et on a clairement l’impression que le metteur en scène ne s’en est servi que comme un prétexte pour nous montrer tout autre chose. Le chant et la musique sont réduits à la portion congrue. Les spectateurs venus pour écouter l’ouvrage du compositeur britannique sont frustrés. Le procédé frise la malhonnêteté. Ce faisant, Aviel Cahn, directeur de l’institution lyrique genevoise, ne fait du bien ni à l’opéra en général ni au Grand Théâtre en particulier : la salle était loin d’être pleine au début de la représentation et plusieurs spectateurs l’ont quittée en cours de soirée.


On se demande également ce que sont venus faire les musiciens et les chanteurs dans cette galère. Comment Emmanuelle Haïm, qui connaît si bien la partition de Purcell, pour l’avoir aussi enregistrée, a‑t‑elle pu accepter un tel saucissonnage ? Quoi qu’il en soit, les transitions entre les musiques additionnelles et celle de Purcell sont parfaitement fluides et Le Concert d’Astrée se montre brillant, confondant tout à la fois de précision et de sensibilité. Le Chœur du Grand Théâtre de Genève émerveille, quant à lui, par son chant généreux et engagé. Le plateau vocal est homogène et de haute tenue : on admire la Belinda espiègle au chant lumineux de Francesca Aspromonte et l’Enée élégant au timbre charnu de Jarrett Ott, dommage simplement que son rôle soit si court. Marie‑Claude Chappuis incarne une Didon toute de douceur et de fragilité, très intériorisée, aux demi‑teintes particulièrement évocatrices. Son « Remember me » final est bouleversant d’émotion ; rien que pour ces cinq dernières minutes, le spectacle vaut le déplacement, malgré tout.



Claudio Poloni

 

 

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