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Bébé sur catalogue Berlin Deutsche Oper 01/26/2025 - et 30* janvier, 2, 5, 8, 11 février 2025 Richard Strauss : Die Frau ohne Schatten, opus 65 Clay Hilley*/David Butt Philip (L’Empereur), Daniela Köhler (L’Impératrice), Jordan Shanahan (Barak), Catherine Foster (La teinturière), Marina Prudenskaya (La nourrice), Patrick Guetti (Le messager des esprits), Hye‑Young Moon (Le gardien du seuil du temple), Nina Solodovnikova (Le faucon), Chance Jonas‑O’Toole (L’apparition du jeune homme), Stephanie Wake‑Edwards (Une voix venue d’en haut)
Chor der Deutschen Oper Berlin, Jeremy Bines (chef de chœur), Kinderchor der Deutschen Oper Berlin, Christian Lindhorst (chef de chœur), Orchester der Deutschen Oper Berlin, Donald Runnicles*/Axel Kober (direction musicale)
Tobias Kratzer (mise en scène), Rainer Sellmaier (décors, costumes), Olaf Winter (lumières), Janic Bebi, Manuel Braun, Jonas Dahl (vidéo), Jörg Königsdorf (dramaturgie)
(© Matthias Baus)
Découvert en France à Lyon en 2019 puis à Paris en 2022, le metteur en scène allemand Tobias Kratzer propose en ce début d’année une nouvelle production de La Femme sans ombre (1919) au Deutsche Oper. Son idée d’évacuer complètement magie et merveilleux surprend d’emblée par une transposition contemporaine d’une suprême élégance, au moyen d’un plateau tournant très sollicité, qui oppose socialement le couple impérial aux teinturiers. On assiste ainsi à une sorte de lutte des classes revisitée, où les plus riches peuvent obtenir ce qu’ils veulent par le seul pouvoir de l’argent, y compris « commander » un bébé via un géniteur rétribué. L’idée d’insister sur le parallélisme entre les deux couples stériles, tous deux en péril face à l’absence de perspectives, rend immédiatement perceptibles les principaux enjeux. On peut en effet interpréter l’absence d’ombre de l’Impératrice comme révélatrice de son incapacité à procréer, mais aussi de s’émouvoir du devenir de son prochain, particulièrement la Teinturière et ses états d’âme pour accepter un possible renoncement à sa progéniture. Au deuxième acte, la scénographie épurée devient de plus en plus explicite, en montrant cette même Teinturière examinée par un gynécologue sur un vaste écran vidéo. Mais c’est peut‑être plus encore le dernier acte qui séduit par ses nombreux sous‑textes ajoutés, de l’intercession d’une psychologue jusqu’à la fête organisée pour inciter l’Impératrice à célébrer sa maternité. On retrouve toute la finesse de la direction d’acteurs de Kratzer dans ces différentes scènes qui évoluent par petites touches, notamment lors du happy end naïf mais conforme au livret, où les deux couples apaisés retrouvent leurs gamins à la sortie de l’école. En somme, cette mise en scène a pour avantage de rendre très lisible le récit, mais en appauvrit quelque peu les aspects philosophiques, en dehors du message plus contemporain sur les mirages de l’« argent roi ».
Directeur musical du Deutsche Oper depuis 2009, le chef écossais Donald Runnicles trouve le ton juste pour embrasser les couleurs du drame sans excès de lyrisme, même si l’on pourrait aimer davantage de noirceur par endroit ou d’attaques plus franches pour marquer les ruptures. A l’instar de la mise en scène, les ambiances dévolues au merveilleux manquent aussi de mystère et d’ambiguïté. On gagne ainsi en continuité du discours musical ce que l’on perd en raffinement des détails. Quoi qu’il en soit, le plaisir est au rendez‑vous, en premier lieu grâce à un orchestre local qui connait la partition dans ses moindres recoins. Un autre motif de satisfaction vient du plateau vocal d’une grande homogénéité, jusque dans le moindre second rôle, à l’instar du sonore et vibrant Messager des esprits interprété par Patrick Guetti. Tous deux diseurs de grande classe, Clay Hilley (L’Empereur) et Jordan Shanahan (Barak) imposent des phrasés admirables d’articulation naturelle, toujours au service du sens. On aime aussi la Nourrice incarnée de Marina Prudenskaya, à la voix pulpeuse et bien projetée, tandis que l’Impératrice solide de Daniela Köhler assure bien sa partie, sans toutefois briller. En dehors de quelques accrocs dans le suraigu au début, Catherine Foster montre un beau tempérament en Teinturière, qui complète cette belle distribution avec brio.
Florent Coudeyrat
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