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De bric et de broc Paris Opéra Bastille 01/29/2025 - et 2, 5, 8, 11, 14, 19 février 2025 Richard Wagner : Das Rheingold Iain Paterson (Wotan), Florent Mbia (Donner), Matthew Cairns (Froh), Simon O’Neill (Loge), Kwangchul Youn (Fasolt), Mika Kares (Fafner), Brian Mulligan (Alberich), Gerhard Siegel (Mime), Eve‑Maud Hubeaux (Fricka), Eliza Boom (Freia), Marie‑Nicole Lemieux (Erda), Margarita Polonskaya (Woglinde), Isabel Signoret (Wellgunde), Katharina Magiera (Flosshilde), Juliette Morel (Gisela)
Orchestre de l’Opéra national de Paris, Pablo Heras‑Casado (direction musicale)
Calixto Bieito (mise en scène), Rebecca Ringst (décors), Ingo Krügler (costumes), Michel Bauer (lumières), Sarah Derendinger (vidéo), Bettina Auer (dramaturgie)
(© Herwig Prammer/Opéra national de Paris
Le moins que l’on puisse dire est que cette production de la Tétralogie de Richard Wagner, imaginée par Stéphane Lissner, qui souhaitait la confier au directeur musical de l’époque, Philippe Jordan, était attendue. La pandémie en a décidé autrement même si une version concertante a été captée par les micros de France Musique. Place ce soir donc à la première scénique du Prologue, L’Or du Rhin, dans la version mise en scène par l’espagnol Calixto Bieito et sous la direction de son compatriote Pablo Heras‑Casado, désormais habitué du Festival de Bayreuth. Prévue sur deux saisons, l’intégrale du Ring devrait ensuite être donnée sous forme de festival lors de l’année 2026.
Il faut malheureusement le dire, après une telle attente les déceptions sont nombreuses, fortes et variées. La première est bien entendu le forfait de Ludovic Tézier, atteint par la grippe au début des répétitions. On a donc appelé en renfort Iain Paterson, déjà Wotan en 2020, qui déçoit dans ce rôle immense et que l’on ne sent pas loin de ses limites en fin de représentation. Il n’y a par ailleurs pas de vraie faiblesse dans le reste de la distribution mais les degrés de satisfaction sont divers. Les plus convaincants ont semblé, au moins en ce soir de première, l’extraordinaire Mime de Gerhard Siegel qui a tout : la voix, la projection, le texte et un jeu d’acteur qui crève la scène. Autre régal vocal le Fasolt de Kwangchul Youn à la voix somptueuse et au chant raffiné, même si la présence scénique est moins impressionnante. La Fricka d’Eve‑Maud Hubeaux fait elle aussi sensation. L’Alberich de Brian Mulligan ne fait pas peur, le Loge de Simon O’Neill tourne un peu à vide comme le Fafner de Mika Kares, curieusement habillé en cow‑boy, et aucun ne convainc complètement. La Freia d’Eliza Boom, le Froh de Matthew Cairns et le Donner de Florent Mbia sont très en forme. L’apparition d’Erda à la fin de l’œuvre est un moment suspendu, tant la contralto québécoise Marie‑Nicole Lemieux met le feu à la scène. Et le texte redevient parfaitement audible. Admirable !
Autre déception la direction de Pablo Heras-Casado, efficace mais qui semble un peu rectiligne, même sans baguette, et surtout sans tension et qui ne parvient pas à fédérer les musiciens. En témoignent notamment ces cuivres qui déraillent à plusieurs reprises dans des moments stratégiques. La rumeur fait du chef espagnol le prochain directeur musical de l’Opéra de Paris. En sortant de cette représentation, comment ne pas penser aux sortilèges qu’obtenait Gustavo Dudamel avec ces mêmes musiciens lors de son court passage dans la maison ?
Quant à la mise en scène, faite de bric et broc, elle mélange drôle (les Filles du Rhin sortant du fleuve en combinaisons de plongée bleues, genre James Bond girls), glauque (Freia se tartinant le visage de mazout en fin de représentation pendant qu’on projette l’image d’une tête de bébé avec électrodes...) et concessions à l’époque (décors évoquant un centre de données dans lequel les hommes connectés sont trafiqués). L’anneau en or qui passe de cou à cou sert aussi à étrangler. Et le Walhalla, gris bien entendu, ressemble plus au rangement d’une réserve de grand magasin qu’à une peinture de Caspar Friedrich. Les courtes séquences vidéo apportent de la confusion à un récit déjà complexe. Cela fume au début comme à la fin du spectacle – est‑ce un clin d’œil à Patrice Chéreau ? Mais question direction d’acteurs, lisibilité de l’action et tension, on repassera...
Au total, ce Prologue est une vraie déception musicale comme scénique. Espérons donc que les représentations suivantes et épisodes ultérieurs seront plus réussis.
Gilles Lesur
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