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Salomé électrise Genève

Geneva
Grand Théâtre
01/22/2025 -  et 25, 27*, 29, 31 janvier, 2 février 2025
Richard Strauss : Salome, opus 54
Olesya Golovneva (Salome), Gábor Bretz (Jochanaan), John Daszak (Herodes), Tanja Ariane Baumgartner (Herodias), Matthew Newlin (Narraboth), Ena Pongrac (Le page d’Herodias), Mark Kurmanbayev (Premier soldat, Cinquième Juif), Nicolai Elsberg (Second soldat, Premier Nazaréen), Michael J. Scott (Premier Juif), Alexander Kravets (Deuxième Juif), Vincent Ordonneau (Troisième Juif), Emanuel Tomljenovic (Quatrième Juif), Rémi Garin (Second Nazaréen), Peter Baekeun Cho (Un Cappadocien)
Orchestre de la Suisse Romande, Jukka-Pekka Saraste (direction musicale)
Kornél Mundruczó (mise en scène), Marcos Darbyshire (collaborateur à la mise en scène), Monika Korpa (décors et costumes), Felice Ross (lumières), Csaba Molnár (chorégraphie), Kata Wéber (dramaturgie)


(© Magali Dougados)


La nouvelle production de Salomé proposée par le Grand Théâtre de Genève est un spectacle choc qui ne laisse personne indifférent. Le metteur en scène Kornél Mundruczó a certes détourné quelque peu l’intrigue, mais force est de reconnaître qu’il a réussi à concevoir une version forte, intelligente et cohérente, avec un concept dramaturgique qui se tient de bout en bout, et pas simplement quelques idées lancées en vrac çà et là, éclairant l’ouvrage de Strauss d’une lumière contemporaine. Le palais d’Hérode est ici un bar design luxueux situé au sommet d’un gratte‑ciel de New York. Des clients fortunés passent la soirée sans lésiner ni sur l’alcool ni sur la drogue. Ils sont interrompus par des bruits venant de la rue, où une émeute a éclaté, et se précipitent aux fenêtres pour voir ce qui se passe. Le prophète, qui est retenu prisonnier dans un ascenseur gardé par deux agents de sécurité, apparaît alors, allure athlétique, cheveux longs, casquette vissée sur la tête et sweat‑shirt à capuche. Marginal, idéaliste, anticapitaliste, il déverse ses insultes sur les clients du bar, qui ne l’écoutent guère. Intriguée, Salomé – qui chasse son ennui devant un verre – enlève ses écouteurs de ses oreilles ; elle tombe instantanément amoureuse de lui et veut l’embrasser coûte que coûte. Survient alors Hérode, qui fait immédiatement penser à Donald Trump avec ses cheveux blonds, son costume bleu et sa cravate rouge, sans compter qu’un groupe de clients arborent des casquettes rouges portant le slogan MAGA. Pendant la Danse des sept voiles, à laquelle participent sept doubles de Salomé dénudées, Hérode viole sa belle‑fille dans l’ascenseur, laquelle en ressortira avec une tache de sang sur une cuisse. Ensuite se déroule la scène la plus kitsch du spectacle, qui fait sourire bien des spectateurs : les cadeaux qu’Hérode veut offrir à Salomé pour avoir dansé pour lui. On voit d’abord un bourreau dont la tête est recouverte de paillettes vertes pour représenter une émeraude, puis quatre drag‑queens coiffées de plumes blanches pour figurer les paons, et enfin une grosse pomme verte (Big Apple ?), deux cerises et une banane en guise de bijoux, totalement ridicule, le point faible de la soirée. Salomé n’a cure de tous ces présents, elle demande la tête du prophète et, à partir de ce moment, le décor change du tout au tout, donnant au public l’impression d’assister à un second spectacle. Salomé est alors seule sur le plateau totalement nu ; derrière elle, une tête décapitée énorme, celle de saint Jean Baptiste, se rapproche lentement. De la bouche, des narines, des yeux et des oreilles sortiront sept jeunes filles dénudées, les doubles de Salomé, qui portent toutes sur leur corps, à des endroits différents, l’inscription « stop ». Une image choc qui clôt un spectacle particulièrement fort.


Silhouette frêle et menue, Olesya Golovneva incarne une Salomé davantage enfant que femme, qui se réfugie dans son monde sous ses écouteurs. Si la voix n’est pas extrêmement puissante, la chanteuse irradie néanmoins le plateau par sa présence magnétique, son engagement entier dans le personnage, ses regards intenses et interrogateurs, ses tremblements ainsi que sa fragilité, ses aigus transparents, une Salomé qu’on n’oubliera pas de sitôt. Gábor Bretz fait, lui aussi, très forte impression en prophète à la voix ronde et puissante, parfaitement projetée, ainsi qu’à la diction impeccable. Le personnage est ici souvent entièrement visible, contrairement à la tradition, où il est constamment enfermé dans son cachot ou sa citerne. Familier du rôle, John Daszak est un Hérode grotesque de suffisance et de vanité, qui regarde Salomé avec des yeux particulièrement concupiscents. L’Hérodiade de Tanja Ariane Baumgartner, mère excessive et dénaturée, a la particularité ici d’avoir seulement quelques années de plus que sa fille et d’être encore une très belle femme, ce qui change les rapports mère‑fille. On admire aussi le splendide Narraboth de Matthew Newlin, à la voix claire et incisive. Jukka‑Pekka Saraste, qui se fait rare à l’opéra, dirige sa première Salomé. Sous sa baguette, l’Orchestre de la Suisse Romande est précis et rutilant, parfaitement fluide et clair, démontrant de surcroît un art consommé des contrastes, mais la conception musicale du chef reste un brin trop sage, sans les coups de poing sonores qui caractérisent habituellement la partition et qui auraient été parfaitement au diapason de la mise en scène.



Claudio Poloni

 

 

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