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Les Contes d’Hoffmann, une étude de cas

Strasbourg
Opéra national du Rhin
01/20/2025 -  et 23, 26, 28, 30 janvier (Strasbourg), 7, 9 février (Mulhouse) 2025
Jacques Offenbach : Les Contes d’Hoffmann
Attilio Glaser (Hoffmann), Lenneke Ruiten (Olympia, Antonia, Giulietta, Stella), Floriane Hasler (Nicklausse, La Muse), Jean‑Sébastien Bou (Lindorf, Coppélius, Miracle, Dapertutto), Raphaël Brémard (Andrès, Cochenille, Frantz, Pitichinaccio), Marc Barrard (Crespel, Luther), Pierre Romainville (Nathanaël, Spalanzani, Le capitaine des sbires), Pierre Gennaï (Hermann, Schlémil), Bernadette Johns (La mère d’Antonia).
Chœur de l’Opéra national du Rhin, Hendrik Haas (chef de chœur), Orchestre philharmonique de Strasbourg, Pierre Dumoussaud (direction musicale)
Lotte de Beer (mise en scène), Christof Hetzer (décors), Jorine van Beek (costumes), Alex Brok (lumières), Peter te Nuyl (réécriture des dialogues, dramaturgie)


(© Klara Beck)


Le problème récurrent de toute nouvelle production des Contes d’Hoffmann, c’est qu’on ne sait jamais à l’avance ce qu’on va y entendre. Un exemple, parmi beaucoup d’autres : quel air Dapertutto va‑t‑il nous sortir de son chapeau pendant l’acte de Venise ? « Scintille, diamant », cet air apocryphe, néanmoins fondé sur une mélodie authentique d’Offenbach, tirée de l’ouverture du Voyage dans la lune ? Un air très plaisant, dont tous les grands barytons et basses du siècle dernier ont enregistré de formidables interprétations, mais qu’en fait on n’entend plus jamais. Ou bien « Répands tes feux dans l’air », exhumé des cartons musicologiques lors des représentations de Lausanne en 2003, et qui semble s’être durablement imposé, y compris, encore récemment, à Salzbourg, en 2024 ? A moins qu’on ne ressorte la plus ancienne et plutôt moins séduisante proposition, « Tourne, tourne, miroir », qui fait pourtant son retour dans cette nouvelle production strasbourgeoise ?


Difficile de s’y retrouver, d’autant que les justifications invoquées pour tel ou tel choix de restitution de cet ouvrage inachevé restent toutes plus ou moins discutables. Même les travaux de Jean‑Christophe Keck, qui ont profondément marqué Les Contes d’Hoffmann en s’appuyant sur un grand nombre de documents inédits, ne sont pas exempts d’arbitraire. En fait, chaque nouvelle production de l’œuvre semble inviter aujourd’hui à un nouveau débat, où s’entrecroisent énigmes historiques non élucidées et interprétations scéniques tantôt géniales, tantôt fumeuses. Et il faut sans doute se résoudre désormais à l’idée qu’aucune production des Contes ne ressemble à une autre, chacune piochant librement dans un vaste corpus de versions (Guiraud, Choudens, Oeser, Kaye), auxquelles s’ajoutent aujourd’hui les multiples sous‑couches des travaux Keck...


Il paraît en tout cas essentiel de résister à la tentation d’intégrer tout le matériel disponible, sous peine de diluer l’impact dramatique. C’est le principal écueil de l’édition Kaye‑Keck, dont l’exhaustivité devient de plus en plus indigeste à mesure qu’elle s’enrichit de pages supplémentaires. A l’Opéra du Rhin, de discrètes mais continuelles coupures ont le mérite d’alléger, en faisant disparaître un certain nombre de couplets et de sections redondantes, au risque de quelques raccords bizarres (dans l’acte d’Olympia, le N° 7, « Romance et Cabalette de Nicklausse », paraît particulièrement charcuté). Mais ce qui distingue surtout cette production, c’est la réécriture intégrale de tous les passages intermédiaires, qu’ils soient traditionnellement traités en récitatifs, dans la version opéra, ou en dialogues parlés, dans la version opéra‑comique. Ici, la refonte dramaturgique proposée par Lotte de Beer et Peter te Nuyl repense entièrement la continuité du récit et l’équilibre entre texte et musique. Il ne subsiste plus que deux personnages réels : Hoffmann, et Nicklausse, transformé·e en psychothérapeute moderne, face à un premier patient au dossier complexe : un poète érotomane, en proie à un dédoublement de personnalité, oscillant entre rêve et réalité, amoureux fantasmé d’une chanteuse d’opéra mais obsédé chaque jour par une nouvelle femme, et persuadé d’être poursuivi par diverses incarnations du diable... Effectivement, un cas clinique chargé !


La plupart de ces dialogues, heureusement, ne se déroule ni dans un cabinet de psychanalyse, ni dans un asile d’aliénés, mais juste devant un rideau noir brillant, qui masque à intervalles réguliers un décor unique, pièce aux allures tantôt de taverne, tantôt de chambre, aux murs tapissés de papier peint défraîchi. Mais, en réalité, ce décor n’est pas unique : il repose sur une scène tournante comportant au moins deux espaces quasi identiques, dispositif qui permet de modifier discrètement le mobilier sur l’un des plateaux pendant que l’action se déroule sur l’autre. Invisibles du public, ces transitions offrent de constantes surprises, le mobilier semblant parfois se métamorphoser sans que l’on ait perçu immédiatement certaines modifications. Un dispositif subtilement fantastique, et en définitive très efficace, son exiguïté favorisant de surcroît une excellente projection des voix et de l’orchestre vers la salle. Donc aussi une rare occasion d’entendre Les Contes d’Hoffmann chantés en français véritable, et non dans un sabir approximatif, ce qui leur confère une dimension très différente de la plupart des productions internationales du moment.


Dans cette version, Nicklausse devient un rôle en or, magnifiquement incarné par Floriane Hasler, aussi naturelle et convaincante dans les parties parlées qu’efficace dans le chant. L’autre grand rôle, celui de Hoffmann, cruellement exigeant, est correctement assuré par Attilio Glaser, avec une voix moyennement contrôlée et une ligne de chant pas toujours très séduisante, l’ensemble demeurant globalement efficace, avec, en outre, le charme singulier d’un léger accent allemand, parfaitement à propos.


En revanche, tous les autres chanteurs souffrent du concept scénique. Réduits à de simples projections mentales, disséminées tout au long d’un spectacle au demeurant toujours avenant, coloré, visuellement séduisant, ils n’ont plus suffisamment l’occasion de développer leurs personnages sur la durée, devant se limiter à des airs isolés. Ce manque de continuité pénalise particulièrement les seconds rôles, notamment Crespel (Marc Barrard, toujours fiable, mais réduit à la portion congrue) et les quatre personnages comiques, Raphaël Brémard se retrouvant le plus souvent contraint à un rôle de mime, ses couplets dans l’acte d’Antonia paraissant même superflus. Les incarnations du diable pâtissent aussi de cette approche, éclatées en fragments épisodiques interprétés par un Jean‑Sébastien Bou plus désabusé et placide qu’inquiétant.


Reste à souligner la performance de Lenneke Ruiten, qui endosse tous les grands rôles féminins. Comme souvent dans ce type de distribution réduite, la difficulté réside dans le maintien d’une qualité de chant homogène en dépit des exigences vocales variées de chaque incarnation. Or, en général au moins un des rôles convient mieux que les autres à la chanteuse qui tente l’exploit, alors qu’ici aucun des trois ne semble lui correspondre parfaitement. Réserve mineure, car l’ensemble demeure solide et artistiquement convaincant.


Dirigeant avec assurance un Orchestre philharmonique de Strasbourg, en bonne forme, Pierre Dumoussaud impose une lecture particulière, marquée par des accentuations parfois appuyées et aussi quelques rééquilibrages originaux. Une vision singulière et intéressante, sans doute perfectible à la longue, aussi en ce qui concerne un contrôle des chœurs encore fragile. Au cours de cette soirée de première, les choristes de l’Opéra du Rhin paraissent souvent mal à l’aise, probablement pénalisés par un placement peu optimal, tantôt entassés dans les loges d’avant‑scène, tantôt obligés de se bousculer sur un espace scénique qui reste quand même très petit pour accueillir autant de monde.



Laurent Barthel

 

 

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