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Le Falstaff de Strehler renaît avec éclat Milano Teatro alla Scala 01/16/2025 - et 18, 23, 26*, 29 janvier, 1er, 7 février 2025 Giuseppe Verdi : Falstaff Ambrogio Maestri (Sir John Falstaff), Luca Micheletti (Ford), Rosa Feola (Alice Ford), Juan Francisco Gatell (Fenton), Rosalia Cid (Nannetta), Marianna Pizzolato (Mistress Quickly), Martina Belli (Meg Page), Antonino Siragusa (Dott. Cajus), Christian Collia (Bardolfo), Marco Spotti (Pistola)
Coro del Teatro alla Scala, Alberto Malazzi (préparation), Orchestra del Teatro alla Scala, Daniele Gatti (direction musicale)
Giorgio Strehler (mise en scène), Marina Bianchi (reprise de la mise en scène), Ezio Frigerio (décors, costumes), Leila Fteita (reprise des décors), Franca Squarciapino (supervision des costumes), Marco Filibeck (lumières), Anna Maria Prina (chorégraphie)
(© Brescia e Amisano/Teatro alla Scala)
Durant son mandat de directeur de la Scala – qui va d’ailleurs se terminer dans quelques jours – Dominique Meyer a notamment eu à cœur de reprendre des productions «historiques » de l’illustre théâtre, afin que les jeunes générations puissent en profiter aussi. Falstaff en est le dernier exemple. La production a été conçue par Giorgio Strehler pour ouvrir la saison 1980‑1981, sous la baguette de Lorin Maazel et avec Juan Pons dans le rôle‑titre. Les décors ayant été entièrement détruits entretemps, ils ont été reconstitués à l’identique pour cette reprise. Le célèbre metteur en scène italien avait eu l’idée de transposer l’action dans la plaine du Pô, sur les terres de Verdi en fait. L’intrigue se déroule dans un immense domaine agricole, baigné d’une lumière chaude lorsque la brume daigne se lever. Des barques rappellent que le fleuve n’est pas loin et des sacs de riz que le nord de l’Italie est la plus vaste région rizicole d’Europe. Quarante‑cinq ans après sa création, le spectacle, repris par Marina Bianchi, fonctionne à merveille et n’a rien perdu de sa poésie ni de son charme. La comédie se veut ici douce‑amère, légèrement ironique, sans gags lourds ni inutiles. A la fin de l’ouvrage, lorsque les chanteurs lancent « Tutti gabbati » (tout le monde a été trompé), les lumières s’allument dans la salle pour impliquer le public, qui rit de bon cœur avant de se lancer dans des applaudissements particulièrement nourris.
Sur le plan musical, le dernier opéra de Verdi, écrit à l’âge de 80 ans, continue de surprendre tant il n’a absolument rien à voir avec les œuvres antérieures du compositeur. Un monde sépare La Force du destin, que le public milanais a pu voir sur ce même plateau en décembre, de Falstaff. Tenant fermement en main l’Orchestre de la Scala, Daniele Gatti offre une direction extrêmement précise et contrôlée, mais légère et aérienne aussi, tout à fait dans l’esprit de l’ouvrage, ciselant la partition en orfèvre, avec beaucoup de délicatesse et de raffinement. Plutôt que de s’attarder sur l’aspect comique de l’opéra, le chef privilégie clairement la palette de couleurs et les atmosphères, proposant ainsi une lecture particulièrement originale, un Falstaff comme jamais entendu jusqu’ici.
La Scala a réuni une distribution de haut vol et parfaitement homogène autour du Falstaff d’Ambrogio Maestri. Si la voix a perdu de son lustre, le baryton italien incarne néanmoins un personnage particulièrement expressif, donnant un sens à chaque mot et à chaque note d’une partition qu’il connaît comme sa poche, sans parler de son immense présence scénique. Et même si, aujourd’hui, il parle davantage qu’il ne chante, il est totalement habité par le personnage. Luca Micheletti est un Ford splendide, au legato incomparable, au phrasé impeccable et au timbre sombre et bien projeté. Rosa Feola n’est pas en reste en Alice à la musicalité jamais prise en défaut et aux aigus filés remarquables. Son personnage est plus sérieux et réservé que ce qu’on a l’habitude de voir, mais la mise en scène y est sûrement pour quelque chose. Voix particulièrement profonde et riche, Marianna Pizzolato incarne une Mistress Quickly des plus truculentes, inénarrable dans ses nombreuses « Reverenza » qu’elle prépare longuement avec force gestes expressifs. Le couple d’amoureux est très bien assorti, avec la Nannetta au chant clair et lumineux de Rosalia Cid et le Fenton au phrasé délicat de Juan Francisco Gatell. Voix pleine et corsée, Martina Belli campe une Meg Page enjouée et désinvolte. Les rôles secondaires sont tous excellents, de même que le Chœur de la Scala. Au rideau final, ovations pour les chanteurs et le chef de cette reprise enthousiasmante.
Claudio Poloni
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