About us / Contact

The Classical Music Network

Grenoble

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Wien !!!

Grenoble
Vienne (Théâtre François Ponsard)
01/26/2025 -  
Maurice Ravel : Jeux d’eau, M. 30 – Sonatine, M. 40 – Gaspard de la nuit, M. 55 – Miroirs, M. 43 : 1. « Noctuelles », 2. «  Oiseaux tristes » & 4. « Alborada del gracioso » – La Valse, M. 72
Jean-Efflam Bavouzet (piano)


J.‑E. Bavouzet (© Benjamin Ealovega)


Très joli théâtre à l’italienne bâti en 1782, le Théâtre François Ponsard de Vienne offre un cadre idéal pour des concerts de piano ou de musique de chambre. On ne peut donc que féliciter les organisateurs d’un cycle baptisé « Les Dimanches musicaux » de tirer parti de cet écrin et d’y attirer des artistes du calibre de Sharon Bezaly et Jonas Vitaud (le 16 février) ou Tedi Papavrami et Maki Okada (le 30 mars), qui succéderont à Jean‑Efflam Bavouzet, convié à inaugurer l’année Ravel (rappelons que 2025 marque le cent cinquantième anniversaire de la naissance du compositeur).


Dès les premières notes de Jeux d’eau, on apprécie la qualité de l’acoustique, sèche et peu réverbérée mais très claire, qui rend justice à l’inventivité harmonique de Ravel autant qu’au toucher nerveux et bondissant de Jean‑Efflam Bavouzet. Ce dernier n’a certes pas choisi la plus facile des mises en doigts, mais fait montre d’emblée d’une précision et d’une décontraction qu’il conservera tout au long du récital. Une fois Jeux d’eau achevé, Bavouzet prend la parole pour commenter ce morceau et présenter le suivant, ce qu’il fera entre chacune des pièces du programme. Dans cet exercice délicat du « concert commenté », il se révèle aussi agréable causeur et pédagogue qu’il est brillant pianiste. Un peu à la manière d’un Alfred Cortot en son temps, mais avec plus de légèreté et de concision, il sait trouver l’anecdote appropriée ou la référence éclairante qui lui permet de faire partager son amour pour Ravel et de rendre intelligible le génie de sa musique, sans hésiter à se mettre au piano pour illustrer ou compléter ses explications toujours stimulantes. Ces propos, bien que minutieusement préparés, ne sont jamais ennuyeux, et témoignent à la fois de la grande culture et de l’humour de ce musicien talentueux et très sympathique. A la fin de chacune de ses prises de parole, il n’a en outre besoin que de quelques instants pour retrouver toute sa concentration d’interprète, ce qui n’est assurément pas chose facile, surtout au seuil d’œuvres aussi redoutables à jouer que celles qu’il a choisies pour mettre en valeur toutes les facettes du piano ravélien (à peine a‑t‑on perçu un petit accroc au début de la Sonatine et un démarrage un peu précipité dans « Noctuelles »).


Jean-Efflam Bavouzet est assurément un pianiste qui ne recule devant aucun défi, que ses moyens impressionnants lui permettent d’affronter sans crainte. Voilà qui fait de lui un interprète d’élection de la musique de Ravel, tant on sait que la complexité de l’écriture, la rigueur de la forme et la difficulté virtuose même sont au cœur de la démarche du compositeur, particulièrement dans son œuvre pour piano. Il en connaît toutes les vertus et sait les rendre sensibles à son auditoire, le classicisme minutieux de la Sonatine autant que l’inspiration littéraire des poèmes de Gaspard de la nuit ou la suggestion picturale des Miroirs. Interprété de mains de maître, l’ensemble du programme témoigne à la fois de la diversité et de l’unité de l’inspiration de Ravel au piano : le jaillissement des Jeux d’eau se prolonge dans l’idéale liquidité d’« Ondine », le balancement obstiné du « Gibet » trouve un écho dans le chant mélancolique des « Oiseaux tristes », les castagnettes de l’« Alborada del gracioso » répondent aux lugubres flonflons de La Valse. Insolent de bravoure pianistique, puissamment engagé mais jamais crispé, même dans les passages les plus redoutables de la plus redoutable pièce du répertoire pianistique (« Scarbo »), Bavouzet souligne la complexité et la difficulté de ces œuvres tout en en triomphant. Sous ces doigts infaillibles, les références à la nature (Jeux d’eau, « Noctuelles »...), à certaines musiques « exotiques » (la guitare d’Espagne ou la valse viennoise) ou à d’autres arts (la peinture ou la poésie d’Aloysius Bertrand) n’ont rien de décoratif ou de simplement descriptif.


La précision fanatique de la mise en place, avec en particulier un jeu de pédales des plus subtils, le dosage des nuances, la construction des volumes, l’énergie inépuisable du rythme et de la conduite, sont autant de qualités qui traduisent au mieux la quête de perfection de Ravel, d’où découle l’émotion réelle d’une musique parfois décrite (à tort) comme froide et formaliste. Dans les pages les plus expressionnistes, qui sont souvent les plus abouties, le génie intranquille du compositeur donne sa pleine mesure. Il en va ainsi au culminant du récital avec une interprétation inouïe de La Valse, jouée dans sa version pour piano seul, ce que bien peu d’interprètes se risquent à faire. Wien !!! : tel est le titre que Ravel voulait donner initialement au morceau, comme le rappelle avec esprit Bavouzet dans son propos liminaire au public... viennois. Développée de manière implacable, l’obsession pour le motif de la valse viennoise progresse avec charme et fracas vers sa désintégration finale, qui est aussi une apothéose du piano !


Ne montrant aucun signe de fatigue malgré les ressources intellectuelles et physiques que demande un tel programme, Jean‑Efflam Bavouzet prolonge le miracle ravélien encore quelques minutes en enchaînant avec entrain deux bis : le Prélude de 1913, en lequel ce pianiste amateur de jazz voit une anticipation de Bill Evans, et surtout la « Toccata » finale du Tombeau de Couperin, enlevée une nouvelle fois avec jubilation et grâce.


Le site de Jean-Efflam Bavouzet



François Anselmini

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com