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Perspectives d’anniversaire

Paris
Philharmonie
01/17/2025 -  
Philippe Manoury : Maelström (Hommage à Pierre Boulez) (création)
Pierre Boulez : Notations I‑IV et VII pour orchestre
Richard Wagner : Die Walküre (Acte I)

Johanni van Oostrum (Sieglinde), Klaus Florian Vogt (Siegmund), Falk Struckmann (Hunding)
Orchestre national de France, Thomas Guggeis (direction)


T. Guggeis (© Simon Pauly)


L’année 2025 promet d’être très boulézienne, au moins à Paris et à Baden‑Baden, assurément les deux villes où le compositeur français a laissé le plus de traces, autant dans la sphère publique que privée. La grande salle de la Philharmonie parisienne porte déjà le nom de salle Pierre Boulez depuis son ouverture. A Baden‑Baden, l’esplanade devant le Festspielhaus sera rebaptisée place Pierre Boulez le 26 mars prochain, prélude à des festivités de Pentecôte où le legs musical du compositeur et chef d’orchestre français sera célébré tout au long de plusieurs concerts monographiques.


A Paris, l’hommage est plus étalé dans le temps, avec un premier concert de grande envergure ce soir, qui porte encore la marque de fabrique de son maître d’œuvre initial, le chef français François‑Xavier Roth, disparu de l’affiche et remplacé par le jeune Thomas Guggeis, directeur musical de l’Opéra de Francfort depuis la saison dernière. On notera toutefois que, sur le programme des festivités de Baden‑Baden, le nom de François‑Xavier Roth reste toujours mentionné sans modification.


Quant à Thomas Guggeis, sa trajectoire de jeune chef prometteur, fraîchement promu à la tête de l’Opéra de Francfort, l’une des plus grandes maisons lyriques d’Allemagne, se poursuit avec des succès notables mais aussi quelques échecs, imputables à une relative inexpérience que son impressionnante compétence musicale ne compense pas toujours. On pense notamment à l’achoppement récent de la première de Lulu d’Alban Berg, ainsi qu’à des prestations globalement plus approximatives que celles de son prédécesseur Sebastian Weigle, qui avait marqué son long mandat de Generalmusikdirektor par un niveau d’excellence particulièrement élevé dans les répertoires wagnérien et straussien.


Un répertoire wagnérien où Thomas Guggeis s’affirme cependant comme un talent prometteur. On le vérifie ce soir, au cours d’un premier acte de La Walkyrie dirigé avec beaucoup de présence et d’initiative, voire une impressionnante emprise sur l’Orchestre national de France, qui se distingue quant à lui par une remarquable perfection instrumentale. En dépit du format particulier d’une version concert, on perçoit dans cette direction une théâtralité intéressante, même s’il faut bien noter aussi qu’elle se construit au détriment d’une certaine transparence sonore, et que cet art très efficace du soulignement ponctuel peut tomber occasionnellement dans l’anecdote.


Un constat au demeurant plutôt savoureux dans le cadre d’un hommage à Pierre Boulez, une telle direction s’écartant énormément de l’héritage prétendument laissé par ce dernier dans l’interprétation wagnérienne. L’heure paraît sans doute venue, effectivement, de relativiser la prétendue « révolution Boulez » dans ce répertoire, en référence aux objectifs d’objectivité et de clarté affirmés lors des célèbres représentations de Parsifal et de la Tétralogie à Bayreuth. Avec le recul, une révolution qui risque de relever davantage de l’épiphénomène marquant que d’une transformation durable du paysage. En tout cas, c’est ce que cette direction wagnérienne efficace, mais presque naïve à certains égards, d’un jeune chef allemand de 31 ans, semble aujourd’hui indiquer clairement.


Belle distribution, où seul le vétéran Falk Struckmann dépare un peu, moins en raison d’une éventuelle usure vocale que d’une relative inadéquation à la tessiture. En revanche, excellente surprise avec la Sieglinde de Johanni van Oostrum, personnification attachante. Le timbre paraît centré sur le médium, avec des aigus parfois légèrement voilés, mais la construction est émouvante, grâce en particulier à un habile jeu sur les couleurs particulières de la voix. Quant au Siegmund de Klaus Florian Vogt, ses acquis consolidés par une fréquentation régulière du rôle deviennent particulièrement impressionnants. Chantée, comme il se doit, par cœur, son interprétation repose plus que jamais sur le mot, toujours impeccablement projeté et prononcé, approche qui met d’ailleurs en lumière avec une clarté presque crue à quel point certaines formulations wagnériennes archaïques ont pu mal vieillir. Au‑delà de cette exceptionnelle lisibilité poétique, une interprétation sublimée par une palette de couleurs vocales de plus en plus extraordinaire, et qui atteint aujourd’hui un format authentiquement héroïque, en dépit de ses fortes singularités intrinsèques. Vogt est, de toute façon, le seul de ces trois chanteurs que Thomas Guggeis, parfois peu attentif sur ce point, ne parvient jamais à couvrir.


L’hommage à Pierre Boulez s’avère plus percutant en première partie, avec une très belle exécution des Notations, qu’il est cependant difficile de juger de façon objective, car les repères que l’on conserve en mémoire proviennent bien davantage des interprétations de chefs comme Daniel Barenboim ou François‑Xavier Roth, qui ont beaucoup dirigé ces courtes pièces. L’approche de Thomas Guggeis semble plus fondue, avec un sens intéressant du détail pouvant surgir parfois de manière inattendue au cœur de la masse orchestrale, certaines finalités d’une telle interprétation apparaissant toutefois un peu nébuleuses.


On peut aussi s’interroger sur la place devenue prédominante des Notations dans le culte boulézien sachant qu’il s’agit initialement d’œuvres pianistiques quand même très secondaires, même si longuement revisitées et retravaillées par Boulez lui‑même. Mais on sait que de toute façon, ce ne sont pas non plus toujours, et de loin, à l’épreuve du temps qui passe, les œuvres musicalement les plus importantes de nos grands compositeurs du passé qui ont été les plus jouées et unanimement appréciées.


Ces Notations restent, en tout cas, emblématiques de l’obsession de Boulez à retravailler sans cesse ses œuvres, en y apportant des modifications et des ajouts réguliers. Dans l’histoire de la peinture, on pourrait établir un intéressant parallèle avec Bonnard, un autre célèbre Pierre, capable de poser les bases d’une toile en quelques minutes, mais vivant ensuite avec sa création pendant vingt ans, incapable de s’en détacher, ajoutant ici une ombre, là une couleur, ou encore un détail, et prolongeant ainsi sans fin le processus créatif.


Pour cette même raison, il reste encore dans les cartons de l’« atelier Boulez » des esquisses extrêmement avancées pour une « Notation VIII ». Philippe Manoury, en accord avec François‑Xavier Roth, avait le projet d’assembler et de concrétiser ce matériel sous la forme d’une pièce supplémentaire, donc un véritable ajout posthume aux Notations existantes. Cependant, pour des motifs que l’on serait d’ailleurs curieux de connaître, ce projet a rencontré des obstacles juridiques et a dû être reporté, bien qu’à ce stade Philippe Manoury ne semble pas l’avoir abandonné définitivement.


A la place, en ouverture de concert, une œuvre de Philippe Manoury intitulée Maelström, en création mondiale, commande de Radio France. Bien qu’elle ne puisse se référer à cette « Notation VIII », pour l’instant encore fantomatique, que par quelques discrètes allusions textuelles, cette pièce se révèle d’emblée passionnante, et résiste très bien à l’épreuve de la réécoute du concert enregistré. On perçoit dans cette forme courte mais très dense l’évidente maturité d’un compositeur affranchi pour une fois d’une culture technologique imposante mais parfois source d’un certain parasitage, pour en revenir à une remarquable pureté d’écriture. Le résultat est très beau, voire d’une envergure qui dépasse largement le cadre contraint d’une brève symphonique.



Laurent Barthel

 

 

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