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Le piano sous toutes ses formes Lucerne Centre de la culture et des congrès 01/17/2025 - Première partie
Felix Mendelssohn Bartholdy : Die Hebriden, opus 26 – Concerto pour piano n° 1 en sol mineur, opus 25 [1] – Lieder ohne Worte : « Andante tranquillo » en si bémol majeur, opus 67 n° 3, « Allegretto tranquillo » en fa dièse mineur (« Venezianisches Gondellied »), opus 30 n° 6, « Andante sostenuto » en ré majeur, opus 85 n° 4, « Molto allegro e vivace » en la majeur, opus 19 n° 3, & « Allegro leggiero » en fa dièse mineur, opus 67 n° 2 [1] – Scherzo en si mineur MWV U 69 [1] – Trois Fantaisies ou Caprices, opus 16: 2. Scherzo en mi mineur [1]
Seconde partie
Carl Czerny : Rondeau Brillant pour piano à six mains, opus 227 [2, 3, 4]
Serge Rachmaninov : Danses symphoniques, opus 45 (version pour deux pianos) [2, 3, 4]
Camille Saint-Saëns : Le Carnaval des animaux [4, 5] Annie Dutoit-Argerich (récitante), Beatrice Rana [1], Lilya Zilberstein [2], Anton Gerzenberg [3], Daniel Arkadij Gerzenberg [4], David Chen [5] (piano), Anne-Laure Pantillon (flûte), Stojan Krkuleski (clarinette), Gregory Ahss, Jonas Erni (violon), Alexander Besa (alto), Samuel Niederhauser (violoncelle), David Desimpeleare (contrebasse), Iwan Jenny (percussion)
Luzerner Sinfonieorchester, Michael Sanderling (direction) [1]
M. Sanderling, B. Rana (© Philipp Schmidli)
Un festival consacré au piano organisé par un orchestre symphonique ? Ce qui pourrait sembler un paradoxe est désormais une réalité bien établie. En 2022 en effet, l’Orchestre symphonique de Lucerne a créé, sous l’impulsion de son dynamique intendant, Numa Bischof Ullmann, « Le Piano symphonique ». La formation entendait ainsi combler le vide laissé par le Festival de Lucerne, qui, en 2019, avait décidé de ne plus poursuivre son « Piano Festival » automnal. Présenter le piano non seulement comme un instrument seul, mais aussi dans un contexte symphonique, accompagné par l’Orchestre symphonique de Lucerne, ainsi que dans un cadre chambriste, avec des musiciens de la phalange, telle est la particularité du « Piano symphonique ». Parvenu aujourd’hui à sa quatrième édition, le festival a réussi d’emblée à attirer les plus grands noms du clavier et à s’établir comme une manifestation de référence, reconnue aussi sur le plan international.
Au mitan de l’édition 2025, un grand concert au programme particulièrement original a réuni en une même soirée toutes les caractéristiques du « Piano symphonique » puisqu’il a permis d’entendre à la fois des pièces pour piano seul, des partitions de musique de chambre avec piano et un concerto pour piano. Malheureusement, la soirée n’a pas pu tenir toutes ses promesses en raison du forfait de dernière minute de Martha Argerich, pour cause de grippe. Vraiment dommage car on aurait pu écouter, durant le même concert, deux immenses pianistes, Beatrice Rana puis Martha Argerich, la première étant parfois considérée comme la digne successeur de la seconde. En fin de compte cependant, malgré cette défection, la soirée a été une réussite et a ravi le nombreux public présent, qui occupait pratiquement tous les sièges de la célèbre salle conçue par Jean Nouvel.
La première partie du concert était entièrement consacrée à Mendelssohn. Elle a débuté par la célèbre ouverture Les Hébrides, rondement menée par Michael Sanderling à la tête de l’Orchestre symphonique de Lucerne, dont il est le directeur musical depuis la saison 2021‑2022. Beatrice Rana a ensuite attaqué le Premier Concerto pour piano, une partition qui précède de peu Les Hébrides. Cette pièce très Sturm und Drang, exubérante d’énergie et de jeunesse, a été rendue avec passablement de retenue et de contrôle par la pianiste italienne, alors qu’on aurait aimé davantage de fougue et de laisser‑aller. Beatrice Rana a néanmoins séduit par sa brillance et sa virtuosité dans les premier et troisième mouvements, ainsi que par son toucher délicat et évanescent dans le mouvement lent, avec globalement un sens marqué de la couleur et du phrasé et beaucoup de malice dans son jeu. Cette première partie du concert s’est terminée par un superbe florilège de brèves pages de Mendelssohn pour piano, pour la plupart rarement jouées. Beatrice Rana a ainsi offert cinq des quarante‑huit Romances sans paroles, entre lesquelles elle a judicieusement inséré deux scherzos méconnus. D’emblée, la pianiste a trouvé le ton juste, soulignant la douceur de l’opus 67 n° 3, la mélancolie de l’opus 30 n° 6, la majesté et la poésie de l’opus 85 n° 4 ou encore la vitalité et l’énergie de l’opus 19 n° 3, en terminant par la délicatesse de l’opus 67 n° 2. Beatrice Rana a été très chaleureusement applaudie au terme de sa prestation.
Changement total d’atmosphère pour la seconde partie du concert, qui a débuté avec le Rondeau Brillant à six mains de Carl Czerny. Si la musique a semblé bien maniérée et peu inspirée, les trois pianistes, Lilya Zilberstein, Anton Gerzenberg et Daniel Arkadij Gerzenberg, ont ébloui le public par leur virtuosité, leur complicité et leur cohésion. Il en a été de même dans la version pour deux pianos des Danses symphoniques de Rachmaninov, avec ses rythmes trépidants, son deuxième mouvement au tempo de valse et sa dernière partie se terminant par une course-poursuite, les artistes – en alternance au clavier – canalisant avec brio toute l’énergie, voire la violence de la partition. La soirée s’est conclue avec Le Carnaval des animaux de Saint‑Saëns, en formation réduite composée de musiciens de l’Orchestre symphonique de Lucerne, qui ont donné vie avec verve et vivacité à chaque séquence zoologique. La récitante, Annie Dutoit‑Argerich, n’a pas manqué, avec beaucoup d’humour, d’adapter quelque peu le texte de Francis Blanche pour notamment relever la défection de sa mère, « notre mammifère préféré ». Une soirée au programme décousu certes, mais particulièrement original, qui restera comme un des moments forts de l’édition 2025 du « Piano symphonique ».
Claudio Poloni
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