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Trois visions de la mort Paris Maison de la radio et de la musique 12/12/2024 - Lili Boulanger : D’un soir triste
Alfred Schnittke : Concerto pour alto
Serge Prokofiev : Symphonie n° 3, opus 44 Antoine Tamestit (alto)
Philharmonique de Radio France, Lahav Shani (direction)
L. Shani (© Marco Borggreve)
Il suffit d’écouter quelques mesures de Lili Boulanger pour déplorer son sort. Qu’eût‑elle donné si la mort ne l’avait pas emportée à 24 ans ? Son ultime partition, D’un soir triste, qui fait suite à D’un matin de printemps, est l’orchestration d’une pièce pour trio avec piano et sonne comme un adieu à la vie. Elle séduit aussitôt par le raffinement des couleurs et des harmonies, que l’on situera quelque part entre Debussy et Roussel. Dix minutes suffisent pour créer une atmosphère à la fois narrative et descriptive, dont Lahav Shani restitue aussi bien la grisaille automnale que les accès de fièvre. De quoi nous faire regretter qu’il n’ait pas donné le premier volet du diptyque.
Le Concerto pour alto de Schnittke trahit ensuite les limites du « polystylisme » du compositeur russe. Les citations diverses, le mélange des genres et des registres s’inscrivent dans une forme assez lâche, loin d’un Mahler, d’un Chostakovitch ou d’un Berio. La déferlante de l’Allegro molto semble assez artificielle, le Largo conclusif traîne en longueur. Avouons que l’œuvre, où l’on sent plus de métier que d’invention, ennuie vite et que l’on écoute surtout l’alto superbe d’Antoine Tamestit, la beauté, la pureté et la rondeur de sa sonorité, dès la cadence du Largo initial où il opte d’emblée pour une lecture plus épurée, moins expressionniste que celle du créateur Youri Bashmet. C’est son jeu, plus que l’œuvre elle-même, avec son orchestre sans violons où le clavecin est somme toute peu exploité, qui suggère un homme au seuil de sa mort. En bis, une très belle transcription de « La Fille aux cheveux de lin » de Debussy, accompagnée par le chef, également pianiste de haut vol.
Celui-ci ne pouvait donner toute sa mesure dans le Concerto de Schnittke. La Troisième Symphonie de Prokofiev, qui offre une autre vision de la mort, le révèle. Composée en 1928 à partir du sulfureux Ange de feu, que Charles Bruck créa en concert aux Champs‑Elysées vingt‑six ans plus tard, elle en intègre des thèmes aux quatre mouvements de la symphonie traditionnelle, tout en y conservant le caractère démoniaque de cette histoire de possession. Le chef israélien impressionne par sa maîtrise d’une partition dont il arrondit les angles sans l’affadir pour autant, à l’opposé de certaines lectures plus rugueuses, plus âpres, plus acérées, notamment des baguettes russes. Il ne dirige pas une suite de concert, mais une symphonie, plus soucieux de souligner la fermeté de son architecture que de cracher artificiellement les flammes de l’enfer et du bûcher auquel l’Inquisition condamne Renata, même s’il préserve, après l’accalmie rêveuse de l’Andante, la frénésie rougeoyante de l’Allegro agitato. Au plus fort des déchaînements de l’hystérie, il reste toujours très attentif au fini des couleurs, à la plasticité de la pâte sonore, avec la complicité d’un Philhar’ visiblement conquis, dont les pupitres se montrent magnifiques – à commencer par les cordes, d’une homogénéité, d’une rondeur que le National est loin de posséder à ce degré.
Didier van Moere
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