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Fils et résonances Paris Théâtre de la Ville – Les Abbesses 12/15/2024 - Jérôme Combier : Strands (création) – Cordélia des nuées
Alberto Posadas : Ianus
Salvatore Sciarrino : Venere che le Grazie la fioriscono Matteo Cesari (flûte)
Multilatérale, Rémi Durupt (direction), Max Bruckert (réalisation informatique musicale)
Natan Katz (création lumière)
M. Cesari
Ce n’est pas Léo Warynski, directeur musical de l’ensemble Multilatérale, mais le brillant Rémi Durupt qui dirige le concert de cette « matinée » – à tout le moins la seule pièce pour ensemble que complètent trois autres pour flûte seule.
Commande conjointe du Festival d’Automne à Paris et de Multilatérale, Strands déploie un univers sonore bien particulier (émaillé de quelques longueurs) au cours de ses quarante minutes de durée. En cause l’instrumentarium choisi, mis en branle par sept musiciens équipés de microphones en feedback. L’installation du plasticien argentin Tomas Saraceno au Palais de Tokyo en 2018 a donné l’idée à Jérôme Combier (né en 1971) de prolonger musicalement cette métaphore du réseau de fils entremêlés. Au « geste performatif » des interprètes s’adjoint une électronique ouvrant tout un espace de vibrations auquel contribuent grandement les percussions (grosse caisse et large plaque de métal). D’une grande variété, fruit de subtiles articulations de tempos, la partie instrumentale oscille entre écriture serrée, avec de curieux mouvements parallèles, et des moments purement contemplatifs, au nombre desquels plusieurs interludes pour un instrument et/ou électronique – la dramaturgie en sort renforcée par le changement d’éclairage. On peut souligner la fiabilité et la précision de la gestique de Rémi Durupt. Mais on ne décrit pas le cheminement de ces résonances profondes, secrètes, caverneuses et ouatées à la fois, parfaitement en situation dans l’acoustique intime du Théâtre des Abbesses.
Est-ce parce que le flûtiste Matteo Cesari était déjà présent au concert d’ouverture du Festival d’Automne consacré à Luigi Nono que l’on entend comme une réminiscence du Vénitien dans Cordélia des nuées (2003) ? La partition de Combier porte bien ses vingt ans, exaltant ces micro‑inflexions et cette soufflerie vacillante où la fragilité du son est érigée en totem.
On monte d’une octave avec Ianus d’Alberto Posadas (né en 1967). Pour cette création mondiale, Matteo Cesari – successivement dos au public, puis de face et de profil – sollicite toute une gamme de modes de jeu (sons multiphoniques, flatterzunge...) qui témoignent de la grande flexibilité du piccolo. On songe plus ici à l’univers d’un Niccolò Castiglioni (étranger à la clé de fa, comme l’a observé un musicologue italien) – également présent au concert d’ouverture –, avec ce ton ludique, facétieux, ces figures volubiles entrecoupées d’inspirations rauques. Fin énigmatique, où la répétition obstinée d’un demi‑ton ascendant s’interrompt brusquement, tel un oiseau qui aurait chu de sa branche.
Dans Venere che le Grazie la fioriscono (1989), Salvatorre Sciarrino (né en 1947) demande des sonorités sourdes, bien dans sa manière, qui font ressortir avec d’autant plus de relief le bruit blanc du souffle et les jeux de clé. Matteo Cesari, fort d’une articulation à toute épreuve, triomphe de la dernière partie : sorte de toccata virtuose à la rythmique implacable jouée dans les nuances les plus infimes.
Jérémie Bigorie
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