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Les chanteurs mènent le bal Zurich Opernhaus 12/08/2024 - et 11*, 14, 17, 21, 28 décembre 2024, 5, 10, 15, 19 janvier 2025 Giuseppe Verdi : Un ballo in maschera Charles Castronovo (Riccardo), George Petean (Renato), Erika Grimaldi (Amelia), Agnieszka Rehlis (Ulrica), Katharina Konradi (Oscar), Steffan Lloyd Owen (Silvano), Brent Michael Smith (Samuel), Stanislav Vorobyov (Tom), Martin Zysset (Un giudice), Alvaro Diana Sanchez (Un servo d’Amelia)
Chor der Oper Zürich, Janko Kastelic (préparation), Philharmonia Zürich, Gianandrea Noseda (direction musicale)
Adele Thomas (mise en scène), Hannah Clark (décors et costumes), Emma Woods (chorégraphie), Franck Evin (lumières), Tieni Burkhalter (vidéo), Fabio Dietsche (dramaturgie)
(© Herwig Prammer)
La nouvelle production du Bal masqué de l’Opernhaus de Zurich s’annonçait particulièrement enthousiasmante, du moins sur le papier, mais elle s’est finalement révélée plutôt décevante. Le spectacle est plombé en effet par une mise en scène ridicule et indigente. Adele Thomas, codirectrice du Welsh National Opera à partir de janvier 2025, a eu la curieuse idée de faire de Riccardo, le héros de l’opéra, le candidat à sa réélection au poste de gouverneur de Boston. Le concept n’est pas nouveau puisqu’il avait déjà été choisi par Damiano Michieletto à la Scala en juillet 2013, sans succès non plus, il faut bien le dire. Une toile recouvrant le rideau de scène affiche un immense portrait de Riccardo avec des slogans électoraux. Pendant l’Ouverture, le visage du candidat se transforme en tête de mort. Le rideau s’ouvre ensuite sur un théâtre d’anatomie dont les gradins sont remplis par des messieurs en redingotes et hauts‑de‑forme. Au centre, des chirurgiens s’affairent à retirer une balle de la poitrine d’un patient étendu sur une table, Riccardo en l’occurrence. Et on ne peut s’empêcher de se dire que la tentative d’assassinat de Donald Trump pendant la campagne de l’élection présidentielle américaine a dû inspirer la metteur en scène. On voit ensuite arriver Renato, en tenue rayée de prisonnier, encadré par des policiers qui le forcent à regarder sa victime, puis vient Amelia, en larmes, suivie d’Oscar, qui porte sous le bras une redingote grise. Et lorsque résonnent les premières notes de la scène 1, Riccardo se lève prestement de la table d’opération, se défait des draps qui le recouvrent et enfile sa redingote. On se croirait dans une comédie burlesque. La salle d’opération se transforme alors en arène électorale, avec force tracts et affiches. A la fin de cette première scène, qui se caractérise par une musique particulièrement vive et rythmée, des danseurs se lancent dans un french cancan endiablé, qui n’a rien à voir avec l’esprit de l’opéra de Verdi. La même ambiance de cabaret va se répéter à la fin de la deuxième scène, dans la grotte d’Ulrica, puis au terme de la soirée, pendant le bal masqué. Il est vrai que l’opéra de Verdi oscille entre tragique et comédie, mais de là à le confondre avec une opérette d’Offenbach... Résultat : ridicule et pathétique.
La déception vient aussi – et c’est une immense (mauvaise) surprise – de la fosse, où, à la tête du Philharmonia Zürich, Gianandrea Noseda propose une lecture très prosaïque et terre à terre de la partition, une lecture lourde et forte aussi, couvrant parfois les chanteurs. Dommage car on a connu ici à l’Opernhaus un Gianandrea Noseda autrement plus inspiré et raffiné. Peut‑être que le chef n’a pas eu suffisamment de répétitions avec les musiciens. Le bonheur viendra donc ce soir uniquement de la distribution vocale. Malgré un premier air qui le prend à froid, avec des notes parfois forcées et métalliques, Charles Castronovo incarne un Riccardo ardent et passionné, un amoureux enflammé prêt à tout, avec un timbre aux teintes chaudes et veloutées, des aigus rayonnants et une large palette de nuances. George Petean est un splendide Renato, avec une voix puissante et bien timbrée, un superbe legato et une expressivité jamais prise en défaut. Erika Grimelda dessine un beau portrait d’une Amelia émouvante et mélancolique, fragile mais sensuelle, avec des sauts de note et des vocalises parfaitement négociées, malgré çà et là quelques stridences. L’Ulrica d’Agnieszka Rehlis impressionne par ses graves puissants et caverneux. Si les vocalises de son premier air semblent quelque peu scolaires et appliquées, Katharina Konradi fera par la suite des étincelles en Oscar virevoltant sur scène. Les rôles secondaires sont tous admirablement tenus par des membres de la troupe de l’Opernhaus de Zurich. Ce soir, le bal a été clairement mené par les chanteurs.
Claudio Poloni
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