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Olivier Py, moine et voyou

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
12/04/2024 -  et 6, 8*, 10, 12 décembre 2024
Francis Poulenc : Dialogues des carmélites
Patricia Petibon (Mère Marie de l’Incarnation), Vannina Santoni (Blanche de la Force), Véronique Gens (Madame Lidoine), Manon Lamaison (Sœur Constance de Saint‑Denis), Sophie Koch (Madame de Croissy), Sahy Ratia (Chevalier de la Force), Alexandre Duhamel (Marquis de la Force), Marie Gautrot (Mère Jeanne de l’Enfant‑Jésus), Ramya Roy (Sœur Mathilde), Loïc Félix (Le père confesseur), Blaise Rantoanina (Premier commissaire), Yuri Kissin (Second commissaire), Matthieu Lécroart (Thierry, M. Javelinot, Le geôlier)
Chœur Unikanti, Les Siècles, Karina Canellakis (direction musicale)
Olivier Py (mise en scène), Daniel Izzo (reprise de la mise en scène), Pierre‑André Weitz (décors, costumes), Bertrand Killy (lumières)


(© Vincent Pontet)


Poulenc disait tenir du moine et du voyou. Olivier Py a saisi l’oxymore. Côté voyou, on avait Les Mamelles de Tirésias. Côté moine, Dialogues des Carmélites : deux réussites d’Olivier Py qui, à l’instar du compositeur, oscille entre la sensualité jubilatoire et l’aspiration à l’absolu, le music‑hall coquin et le couvent austère, comme il oscille volontiers entre la luxuriance baroque et l’épure classique. Aux Champs‑Elysées, les Dialogues, inaugurés en 2013, repris en 2018, sont de nouveau à l’affiche, pour notre plus grand plaisir – Les Mamelles ont été données en 2023. On reste toujours fasciné par la sobriété d’une production qui restitue avec tant de profondeur les tourments de des âmes craignant d’être exclues de la grâce. Les soubresauts de l’Histoire passent presque au second plan, la Révolution, dont tous sont pourtant victimes, n’a d’autre rôle ici que de mettre la créature en face de Dieu et d’elle‑même.


Les images n’ont rien perdu de leur puissance d’évocation, que ce soit les références aux anges de Fra Angelico ou le dernier tableau : les sœurs martyres, après avoir été guillotinées, partent, les bras levés au ciel, vers un horizon constellé d’étoiles. Tout repose ici sur l’opposition entre le noir et le blanc, les ténèbres et la lumière, avec un décor en huis‑clos, du salon du Marquis à la cellule de la Conciergerie, qui ressemble à un couloir de la mort. La direction d’acteurs est superbe. La force des liens entre le frère et la sœur a rarement été aussi bien révélée, l’agonie christique de la Première prieure, tordue par l’angoisse, vous prend à la gorge. The Rake’s Progress à Garnier, Dialogues des carmélites aux Champs‑Elysées : deux spectacles du meilleur Olivier Py, Pour Poulenc, un absolu.

Musicalement, c’est inégal – comme en 2013. Si Vannina Santoni incarne une Blanche très attachante, à la fois fragile et volontaire, torturée aussi, à la ligne sûre et aux aigus solides, elle ne s’identifie pas encore tout à fait au personnage, faute notamment d’un médium plus corsé et d’une endurance plus affirmée. L’impeccable Manon Lamaison séduit beaucoup en Sœur Constance, plus forte que certains sopranos très légers distribués dans le rôle, vrai double de Blanche ici.


Les années ont passé sur la voix de celles que l’on avait déjà entendues en 2013. Véronique Gens a perdu de sa lumière et de sa stabilité en Madame Lidoine, il lui reste heureusement cette élégance du phrasé, cet art de la déclamation, qui en ont toujours fait une icône de l’école française. Mais Patricia Petibon, Blanche il y a onze ans, fait naufrage en mère Marie. Poulenc disait y souhaiter un « grand lyrique » à la voix de Kundry... son exacte antithèse. Quinte aiguë approximative, registres dessoudés, voix en charpie à partir du médium, elle fait de surcroît du personnage une figure hystérique à contre‑emploi. Sophie Koch, elle, passe de Mère Marie à la Première prieure, encore bien en voix même si la tessiture manque maintenant d’homogénéité, avec une articulation plus nette. La grande scène du impose une vraie tragédienne, qui gonfle néanmoins un peu artificiellement la voix de poitrine dans le grave.


Autour des carmélites des chanteurs sans faille, bien que le Marquis d’Alexandre Duhamel, s’avère inégal, à cause d’un aigu terni et d’un manque de délié dans la déclamation rapide. Le Chevalier de Sahy Ratia, par le timbre et le chant, est en revanche à marquer d’une pierre blanche. Mais on se garderait d’oublier le Confesseur de Loïc Félix, si bien campé, le Geôlier à la noirceur mordante de Mathieu Lécroart, la Mère Jeanne de Marie Gautrot.


Karina Canellakis est plus heureuse dans ces Dialogues que dans Eugène Onéguine naguère, plus constamment tendue, plus unitaire dans sa direction. Mais la dimension théâtrale la touche visiblement davantage que la dimension spirituelle de l’œuvre. Le geste reste aussi parfois assez sec, les couleurs assez limitées. La fosse n’est pas vraiment à l’unisson de la scène.



Didier van Moere

 

 

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