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Un mariage à suivre Paris Philharmonie 12/02/2024 - et 28, 29, 30 novembre (Roma), 3 (Luxembourg), 4 (Antwerpen), 6 (Wien) décembre 2024 Claude Debussy : Prélude à l’après‑midi d’un faune
Serge Prokofiev : Concerto pour violon et orchestre n° 2 en sol mineur, opus 63
Johannes Brahms : Symphonie n° 2 en ré majeur, opus 73 Lisa Batiashvili (violon)
Orchestra dell’Academia Nazionale di Santa Cecilia, Daniel Harding (direction)
D. Harding (© Ava du Parc/Cheeese)
La salle Pierre Boulez était comble ce soir pour accueillir le grand orchestre italien en compagnie de son nouveau directeur musical Daniel Harding, qui quittera en juin 2025 la direction de l’orchestre symphonique de la Radio Suédoise qu’il occupe depuis 2007. Il pourra ainsi se consacrer pleinement à sa mission en Italie débutée en octobre 2024 et pour laquelle il affiche de très grandes ambitions, comme le prouve cette première tournée européenne passant par Paris, Luxembourg, Anvers et Vienne.
En début de concert, Daniel Harding et ses musiciens offrent un superbe Prélude à l’après‑midi d’un faune, langoureux et sensuel, mettant en valeur la subtilité d’un orchestre qui sonne raffiné, transparent et lumineux. La réalisation est précise et la direction très souple ce soir de Daniel Harding permet de profiter de chaque seconde de cette fascinante musique qui se poursuit ici même jusque dans les silences. Une vraie merveille de musicalité pour débuter ce programme.
Place ensuite au Second Concerto pour violon de Prokofiev avec Lisa Batiashvili, qui se produit régulièrement avec le chef britannique. Cette entente artistique et humaine se ressent notamment dans de nombreux échanges de regards manifestement complices entre les deux interprètes. La sonorité de la violoniste n’a jamais paru aussi belle et son investissement est évident notamment dans les traits d’allure tzigane qui parcourent le dernier mouvement, dans lequel on entend aussi des castagnettes – il est vrai que l’œuvre a été créée à Madrid. Mais des trois mouvements, on avouera avoir préféré le deuxième, un Andante assai ici d’une subtilité et d’une poésie rares. Tout au long de ce concerto, Daniel Harding se montre un accompagnateur précis et même lyrique. L’orchestre se révèle parfois puissant, ailleurs tendre mais toujours riche de ses différents pupitres qui ne montrent aucune faiblesse. En bis, la violoniste d’origine géorgienne offre en hommage à son pays un arrangement pour cordes du chorla Ich ruf zu dir de Bach. Moment sans aucun doute suspendu.
Après l’entracte, place à la Deuxième Symphonie de Brahms, que Daniel Harding dirige de mémoire. Cette lecture passionnée et passionnante est d’une impressionnante facture. Les tempi sont allants sans être précipités, les voix secondaires (magnifiques pupitres d’altos et de violoncelles) sont très lisibles, les bois chantent sans jamais disparaître derrière les cordes. Quant aux cuivres, ils ont cette présence vraie, mais pas criarde, marque des bons orchestres. Le pupitre de trombones se couvre de gloire avec un son plein, riche et des accords qui sonnent. Daniel Harding dirige avec l’énergie qu’on lui connaît mais sans brutaliser l’orchestre, il faut le dire très réactif au moindre de ses gestes. Il suffit pour s’en rendre compte de regarder Andrea Obiso, l’un des premiers violons solistes (souvent invité à l’Orchestre de Paris), parfois presque debout sur sa chaise lors de ses interventions. Et le résultat global est superbe. Cela fait longtemps que l’on n’a pas entendu pareille symphonie de Brahms à Paris. Un Brahms joyeux, lumineux, charnu sans être épais qui rappelle celui de Riccardo Chailly... ce qui n’est sans doute pas un hasard. En bis, l’Intermezzo de l’acte III de Manon Lescaut de Puccini finit de ravir le public.
L’accueil plus que chaleureux réservé par ses musiciens à Daniel Harding témoigne manifestement d’une déjà très belle entente. Un Daniel Harding qui nous promet avec son nouvel orchestre des enregistrements pour Deutsche Grammophon, des opéras en version de concert, comme récemment une Tosca de Puccini avec une distribution de rêve et aussi (on ne se refait pas) une intégrale des Symphonies de Gustav Mahler. Quant à la liste des chefs invités à Rome cette saison, elle fait aussi rêver : Gustavo Dudamel, Tugan Sokhiev, Jakub Hrůsa, Daniele Rustioni, Kirill Petrenko, Lorenzo Viotti, Robert Trevino, Thomas Guggeis et les deux anciens directeurs musicaux, Antonio Pappano et Myun‑Whung Chung... En tout cas, ce premier concert parisien annonce sans aucun doute un mariage très réussi qu’on suivra avec grand intérêt.
Gilles Lesur
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