About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Le bouleversant « cahier imaginaire » de Heiner Goebbels

Paris
Philharmonie
11/25/2024 -  
Heiner Goebbels : A House of Call. My Imaginary Notebook
Ensemble Modern, Vimbayi Kaziboni (direction)
Heiner Goebbels (mise en lumière), Norbert Ommer (projection sonore)


(© Ondine Bertrand/Cheeese)


Heiner Goebbels (né en 1952) figure au nombre des compositeurs dont l’hétérogénéité des sources musicales et textuelles forme le cœur de la poétique. A l’auditeur intimidé qui aurait besoin d’un maître‑nageur avant de plonger dans cet océan de sons et de collages où Roland Barthes et Heiner Müller, Samuel Beckett et Eichendorff, Pierre Boulez (hommage à Répons) et Komitas se côtoient, rappelons son credo : « Comme Heiner Müller le faisait avec des textes d’origines multiples, je peux travailler aussi bien avec la musique rock, la musique africaine ou la musique classique. Le matériau change mais la méthode reste la mienne. Ma conception de l’art consiste à reconnaître qu’on ne peut pas systématiquement inventer des œuvres nouvelles mais qu’en travaillant avec des œuvres déjà existantes on peut les transformer à tel point que, parfois, on ne les reconnaît plus. ».


La patte de Goebbels, elle, est bien reconnaissable dans A House of Call (2020), sous‑titrée « collection phonographique de mon cahier imaginaire » – sa première grande œuvre orchestrale depuis Surrogate Cities, laquelle connut également sa création française grâce au Festival d’Automne (Théâtre des Champs‑Elysées, 1994). Dans A House of Call, cycle d’invocation, de prières, de poèmes et de chants pour grand orchestre et électronique, Goebbels se réfère aux « maisons d’appel » : un lieu public propre à l’Angleterre du XIXe siècle dans lequel des artisans itinérants louaient leurs compétences. La partition crée un espace déployé où, à la lutherie traditionnelle, se surimposent des voix enregistrées extraites de reportages d’actualité ou de sources ethnographiques. Injecté dans un nouveau contexte historique, leur potentiel révolutionnaire est prolongé par le traitement musical que leur imprime Goebbels : jazz‑rock, sons saturés.


On sort les oreilles flagellées par des cinglées de projections de la troisième partie, « En construction », d’une violence toute varésienne : « La composition est basée sur un field recording inédit, d’une durée de sept minutes, de sons provenant d’un chantier de construction. »


A House of Call ménage cependant des moments de grande délicatesse, comme dans la partie intitulée « Le Grain de la voix », construite autour de chants du Caucase accompagnés à l’accordéon et au violon solo. Cette vocalité riche en harmoniques impures bénéficie d’un écrin enveloppant. Au reste, l’orchestre régit moins le discours musical qu’il ne s’adapte à chaque voix acoustique. Particulièrement émouvante, la dernière partie, « Quoi lorsque les mots ont disparu », voit les musiciens réciter colla parte, en un geste déprécatoire, un extrait de Cap au pire de Beckett.


La charge émotionnelle de l’œuvre éclate grâce à la direction de Vimbayi Kaziboni, qui en avive les moments névralgiques (modulés par divers éclairages), et un Ensemble Modern chauffé à blanc d’où se distinguent un cymbalum, une guitare électrique et tout un arsenal de percussions nécessitant six exécutants.


Un très bel enregistrement chez ECM (2021, avec les textes) permettra de pallier l’absence de surtitrage... et de se perdre avec délectation dans les recoins de cette House of Call d’un genre particulier.



Jérémie Bigorie

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com