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Alla ungarese

Paris
Philharmonie
11/23/2024 -  et 18 (Wien), 21 (Erlangen), 25 (Köln) novembre 2024
Johannes Brahms : Danses hongroises, WoO 1 : 1. Allegro molto (orchestration Brahms) & 11. Poco andante (orchestration Fischer) – Concerto pour piano n° 1 en ré mineur, opus 15 – Symphonie n° 1 en ut mineur, opus 68
Sir András Schiff (piano)
Budapesti Fesztiválzenekar, Iván Fischer (direction)


I. Fischer, A. Schiff (© István Kurcsák)


La lecture du programme du concert distribué ce soir aux spectateurs laissait perplexe avec une première partie consacrée à la Première Symphonie de Brahms, suivie des deux Danses hongroises prévues, la seconde partie du concert étant dévolue au Premier concerto pour piano. Certes, on peut jouer l’originalité dans l’agencement des pièces mais avouons qu’il y a des limites ! Heureusement, nous retrouvons nos petits avec, finalement, une Danse hongroise qui débute chacune des deux parties du concert, la première étant consacrée au concerto, la seconde à la symphonie : ouf ! Nous voici en terrain connu.


Après une petite tournée en octobre déjà consacrée à Brahms et qui les aura successivement conduits à Dortmund, Luxembourg et Vienne pour les Troisième et Dix‑septième des Danses hongroises, le Concerto pour violon (joué par Nikolaj Szeps‑Znaider) et la Troisième Symphonie, ces trois œuvres ayant été de nouveau jouées à Vicence à la fin du mois (avec Veronika Eberle), Iván Fischer et son Orchestre du Festival de Budapest se sont lancés dans une seconde tournée brahmsienne qui verra, seule différence à noter, Kirill Gerstein jouer le Premier Concerto pour trois des concerts prévus (après Budapest, à Lugano, Rotterdam et Lyon) en lieu et place de Sir András Schiff. Mais ce soir, à Paris, c’est bien ce dernier, pianiste hongrois naturalisé britannique, qui s’avance sur la scène d’une Philharmonie comble, s’appuyant sur une canne depuis qu’il s’est cassé une jambe lors des Proms, à Londres, en septembre dernier. Le Premier Concerto (1859) n’a plus guère de secrets pour lui, qui l’a enregistré sous la direction de Sir Georg Solti (Decca) puis dirigé du piano avec l’Orchestre de l’Age des Lumières (ECM), et qui l’a notamment joué sous les baguettes de Marc Albrecht et de Riccardo Muti ; quant à sa collaboration avec son compatriote Iván Fischer, elle se compte désormais en décennies.


Pour autant, le résultat ne nous aura pas pleinement convaincu, à telle enseigne que ce qui nous aura le plus marqué dans ce concerto, ce fut l’orchestre, l’Orchestre du Festival de Budapest ayant une fois encore démontré la phalange qu’il peut être sous la baguette de son directeur musical. Une très grande clarté entre pupitres, un foisonnement de détails orchestraux (la seconde clarinette, tenue ce soir par Rudolf Szitka, lorsqu’elle intervient seule dans l’introduction du premier mouvement, certains traits du pupitre de violoncelles ou d’altos...), un élan indéniable lancé par des timbales impériales, une puissance qui n’est jamais écrasante : quelle entrée en matière pour cette véritable symphonie avec piano obligé, comme nombre de musicologues ont pu définir ce concerto. Face à cette opulence sonore, le climat souhaité par le soliste fut quelque peu différent de celui voulu par le chef avec, au contraire, davantage de retenue dans la conception et dans le tempo, une main gauche très sonore au début du Maestoso mais qui finissait presque par noyer le jeu de la main droite, l’interprétation étant marquée de manière globale par une dynamique insuffisante et, parfois, par une tendance à minauder en éclairant tel trille ou telle articulation. Autant d’éléments qui conférèrent donc à ce mouvement une réelle noblesse mais qui laissait un peu sur sa faim. L’Adagio fut extrêmement bien réussi, Schiff jouant avec toute la simplicité requise, sans trop solliciter une partition qui se suffit à elle‑même, Iván Fischer dirigeant son orchestre avec une délicatesse admirable (l’entrée des deux clarinettes, dont le thème sera ensuite repris par les hautbois... instant magique), la masse orchestrale (soutenue par des contrebasses disposées en fond de scène « à la viennoise ») s’avérant de nouveau très claire et sans aucune pesanteur. L’Allegro ma non troppo révéla parfois quelques déséquilibres, l’orchestre ayant pu couvrir le piano en raison d’une réserve sans doute excessive de la part du soliste, mais le résultat fut tout de même très convaincant grâce à une alchimie générale entre Schiff et Fischer qui témoignait d’une même volonté de prendre ce mouvement de façon à la fois altière et enjouée, sans jamais se départir de l’élégance adoptée par le pianiste depuis les débuts du premier mouvement. Elégance que l’on retrouva dans les deux bis brahmsiens, l’Intermezzo (Andante teneramente), deuxième des Pièces pour piano de l’Opus 118, et le Feuillet d’album en la mineur, écoutés dans un silence religieux par un public visiblement sous le charme.


La seconde partie du concert s’ouvrait par une des Danses hongroises les moins connues du cycle composé par Brahms, à savoir la Onzième, requérant une grande finesse de la part des cordes, notamment des deux premiers violons solos. Orchestre impeccable et plaisir évident pour Iván Fischer de diriger cette musique, comme ce fut le cas pour la Première, qu’il avait empoignée avec force rubato mais sans verser dans le mauvais goût sirupeux ; on peut ne pas être d’accord avec certaines options (ralentis excessifs sur certains points, amplitude parfois trop forte de la dynamique sonore...) mais voilà au moins ce qu’on appelle une interprétation.


Il en alla de même avec la Première Symphonie (1876). De nouveau, l’Orchestre du Festival de Budapest force l’admiration tant par ses individualités (la violoniste solo, les clarinettes, l’excellente flûte solo d’Anett Jófőldi, Roland Dénes impérial aux timbales...) que par ses ensembles (à commencer par un pupitre de violoncelles à se damner, conduit par le charismatique Péter Szabó) ; Iván Fischer est également digne de vifs éloges, sachant faire absolument ce qu’il veut de son orchestre, lequel lui répond d’ailleurs au doigt et à l’œil, mais pour une version que l’on pourrait presque qualifier d’originale de cette symphonie. Le Poco sostenuto ‑ Allegro inaugural est bien fait mais se caractérise surtout par un rubato très prononcé et par une profusion d’éclairages et de détails orchestraux (le pupitre de cors, le premier basson, les violoncelles...) qui nuisent à l’arc général du mouvement. Où est le souffle ? Où est ce côté implacable qui est en principe imposé dès le début par le martellement des timbales ? On le cherchera en vain. L’Andante sostenuto est réussi grâce à des couleurs très Mitteleuropa qui, de fait, nous évoquent presque une vision surannée et nostalgique de Vienne ; mais quel résultat, avec toujours une finesse orchestrale exemplaire et un discours très prenant, qui culmine dans un solo de violon à la justesse cristalline. Le troisième mouvement, lancé par la clarinette solo, s’avère également splendide même si certains traits de violoncelles furent étonnamment joués avec force aspérités. Dans le dernier mouvement enfin, enchaîné un peu brutalement avec le mouvement précédent, Iván Fischer oscille entre le très mesuré (l’entrée des cors, qui auraient tout de même pu être plus imposants) et le vraiment réussi, avec une dernière partie (le Più allegro) où les nuances sont parfois excessives dans les forte mais qui nous aura emporté dans une conclusion jubilatoire.


Avec un tel triomphe, difficile de laisser le public sur sa faim mais, alors qu’on aurait pu avoir une autre Danse hongroise et Iván Fischer ne faisant jamais rien comme tout le monde, on vit les musiciens tous se lever et changer de places pour... se transformer en chorale afin de nous interpréter (de façon ô combien convaincante !) « Es geht ein Wehen durch den Wald », avant‑dernier des sept Lieder pour chœur mixte de l’Opus 62. A n’en pas douter, un des bis les plus originaux que nous ayons jamais entendus, pour clore un concert à l’évidence de très haute tenue.


Le site de l’Orchestre du Festival de Budapest et d’Iván Fischer



Sébastien Gauthier

 

 

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