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Le dernier Haendel largement revisité

Madrid
Teatro Real
11/11/2024 -  et 13, 15, 17*, 19, 21, 23 novembre 2024
George Frideric Handel : Theodora, HWV 68
Julia Bullock (Theodora), Joyce DiDonato (Irene), Iestyn Davies (Didymus), Ed Lyon (Septimius), Callum Thorpe (Valens), Thando Mjandana (Un messager), Tania Garrido, Yara Paz, Antonio Laguna, David Vento (comédiens),La  Galgue, Mero González (danseuses)
Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), José Luis Basso (chef de chœur), Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Ivor Bolton (clavecín, direction musicale)
Katie Mitchell (mise en scène, reprise par Dan Ayling), Chloe Lamford (décors), Sussie Juhlin‑Wallen (costumes), James Farncombe (lumières), Sarita Piotrowski (chorégraphie)


J. Bullock, T. Garrido, J. DiDonato (© Javier del Real/Teatro Real)


Theodora, l’une des dernières œuvres composées par Haendel, est un oratorio sans grande possibilité d’action scénique. Cependant, Katie Mitchell (ici, reprise par Dan Ayling) parvient à développer une intrigue complexe avec des définitions dramatiques fortes de chacune des dix‑neuf scènes de Theodora. Elle y parvient en contredisant le très faible livret de Thomas Morell, une histoire « de sainteté ». C’est le seul oratorio dramatique de Haendel ayant des connotations sacrées, et Morell le consacre à une sainte méconnue. Mais l’occupation romaine d’Antioche et les troubles chrétiens dus à l’intolérance de la fin de l’époque de l’hégémonie païenne permettent une autre approche : la situation pousse les chrétiens comme Theodora au terrorisme. En même temps, la silhouette floue de Theodora est ici évidente dans la façon dont Mitchelle gère l’intrigue. Elle affirme qu’il s’agit d’une vision féministe ; ici, ce sont les femmes (Theodora, Irene et les personnages présentés par Mitchell, qui ne parlent ni ne chantent, mais qui agissent) qui conduisent l’action. Aujourd’hui, il faut mettre la misogynie au premier plan, faute de quoi on donne l’impression de l’accepter. Ce sont les mots de Mitchell, la splendide metteuse en scène de l’Alcina d’Aix‑en‑Provence en 2015 ou de plusieurs premières de George Benjamin, comme Written on Skin, un des véritables créateurs dramatiques contemporains.


La vision de Mitchell, ses contributions à la trame, voire les modifications et les améliorations, ne sont pas le produit du caprice génial des « sans génie », mais la révélation de ce qui est caché dans la véritable dramaturgie de Theodora, la musique. C’est dans la musique que résident le drame, le conflit, l’espoir, la foi, la joie, le combat. Les apports de Mitchell se concentrent sur la communauté des chrétiens, écartant certaines des scènes avec les Romains, mais approfondissent des personnages et des situations que l’œuvre originale n’envisageait pas du tout. Par exemple, l’une des danseuses, au deuxième acte, rôle muet (La Galgue), vit une véritable évolution personnelle de solidarité, de sororité envers la souffrance de Theodora pendant son aria. Le choix de Mitchell mène à un final violent, voire ouvert dans sa férocité.


A ce stade de l’évolution musicale dans les fosses de théâtre, je pense qu’il serait mesquin, ou du moins injuste, de disqualifier la direction d’Ivor Bolton parce qu’elle ne se conformerait pas aux canons des instruments et des sonorités considérés aujourd’hui comme originaux (partiellement, du moins). Sa direction était vivante, contenue dans les moments où Haendel appelle au recueillement, à l’humilité dans l’espérance. Malgré les coupures, surtout du côté romain, ce sont trois heures et demie (dont deux entractes de trois quarts d’heure) de contrastes, de résolution de conflits, de complicité avec Katie Mitchell pour faire progresser une action qui résiste à travers de longs airs, plusieurs chœurs (pas très nombreux) et un seul duo ; et avec pratiquement aucun récitatif de dialogue, alors que ce type de récitatif porte généralement l’action dramatique. Il semble y avoir une bonne entente entre la mise en scène de Mitchell et la prestation de Bolton dans la fosse. Ce n’est qu’ainsi qu’un spectacle de cette ampleur peut tenir, et Bolton et l’Orchestre du Teatro Real y sont une nouvelle fois parvenus ensemble.


Brillant rôle-titre, Julia Bullock, actrice et voix lyrique aux couleurs dramatiques, a été une formidable Theodora, toujours en scène, toujours en tension. Il y a unanimité parmi la critique : son meilleur moment se situe au très dramatique deuxième acte, surtout son aria « With Darkness deep ». La voix du contre‑ténor Iestyn Davies est d’une beauté incontestable, il est un Didymus extraordinaire. Le vois de Joyce DiDonato, appréciée du public madrilène, a triomphé au cours de la soirée (mais également semble‑t‑il aussi durant les autres représentations) dans le rôle décisif d’Irene. La voix de la basse Callum Thorpe est efficace, mais pas très belle : il joue le « méchant » de la pièce. Le ténor Ed Lyon complète avec sa voix raffinée et sa qualité d’acteur le sextuor de rôles principaux de cette production qui repose vocalement sur eux. Le Chœur, dirigé par José Luis Basso, n’a pas une place aussi remarquable que les solistes et la fosse, mais ses moments sont spécialement délicats, expressifs, voire émouvants.


Une nouvelle réussite du Teatro Real, qui, dans cette saison, risque beaucoup avec une accumulation de titres hors des sentiers battus. Comme cette formidable Theodora du dernier Haendel.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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