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Deux équipes pour une soirée

Strasbourg
Opéra national du Rhin
11/07/2024 -  
Lieder et Mélodies de Robert Schumann, Claude Debussy, Gabriel Fauré et Johannes Brahms
Glen Cunningham (ténor), Anna Tilbrook (piano), Stéphane Degout (baryton), Alain Planès (piano)


G. Cunningham, S. Degout (© Klara Beck/Jean‑Baptiste Millot)


Récital d’une durée inusitée, puisque Stéphane Degout a souhaité, tout en ne raccourcissant pas son propre programme, en partager l’affiche avec le ténor écossais Glen Cunningham. Une belle intention, que de promouvoir ainsi une jeune voix, celle d’un artiste que Stéphane Degout a rencontré au cours des récentes représentations de Guercœur à l’Opéra national du Rhin (ONR) et qui l’a, selon ses propres dires, séduit par la sensibilité de son approche, notamment dans le lied et la mélodie. De facto, un double récital, qui fait alterner un baryton et un ténor, dotés de couleurs vocales on ne peut plus dissemblables, et chacun escorté de son propre accompagnateur.


Glen Cunningham vient de passer deux ans au sein de l’Opéra Studio de l’ONR, donc un chanteur encore un peu débutant, mais qui amorce une belle carrière au Royaume‑Uni, surtout dans les opéras de Britten (notamment Albert Herring, un rôle qui doit effectivement lui aller comme un gant) et plus généralement dans le répertoire qui convient exactement à sa voix. Celle d’un ténor très typé « îles Britanniques », donc relativement blanche et d’une minceur qui peut inciter à une relative affectation de diction, dans le sillage d’artistes aussi particuliers qu’un Ian Bostridge ou un Mark Padmore, pour n’en citer que deux, qui ont beaucoup persévéré à chanter le lied ces temps‑ci, et sans y convaincre vraiment, hors leur cercle d’inconditionnels.


Appelé à intervenir dans ce récital juste après le Liederkreis opus 24 chanté par Stéphane Degout, Glen Cunningham persévère dans Schumann, mais en isolant dans le recueil un peu fourre‑tout que sont les Myrthen opus 25, les six poèmes du poète national écossais Robert Burns, que Schumann a mis en musique dans la traduction de Wilhelm Gerhard. Donc ici, nonobstant la langue allemande, une ambiance littéraire en fait très écossaise (des lieder que d’ailleurs Glen Cunningham vient d’enregistrer, sur un disque à paraître intitulé « My Heart’s in the Highlands », tout un programme, effectivement). Et il y a bien quelque chose de dépaysant dans ce timbre un peu monochrome, un rien contraint, parfois un peu criard sur les voyelles trop ouvertes, mais avec en même temps de vraies aptitudes de diseur, qui ne basculent jamais, contrairement aux voix précédemment citées, dans les chichis et les cheveux coupés en huit. Donc peut‑être pas un répertoire d’élection pour ce jeune interprète, mais une approche qui se tient, et de surcroît très bien soutenue par les talents d’accompagnatrice d’Anna Tilbrook, pianiste quant à elle d’une véritable orthodoxie schumannienne.


Passer après le Liederkreis opus 24 chanté par Stéphane Degout pourrait sembler un challenge assez terrible, si le baryton français ne paraissait pas lui‑même un peu intimidé par cette musique, dont il n’a peut‑être pas encore trouvé toutes les clés. L’investissement idiomatique de l’allemand est bien là, le timbre est bien entendu d’un grain toujours aussi noble et agréable, mais manquent souvent un naturel, une aisance dans le maintien de la ligne, sur la longueur du souffle, qui viendraient nous rappeler que, même parvenu à ce degré de raffinement, le Kunstlied allemand garde encore ses racines populaires. Peut‑être l’accompagnement d’Alain Planès, souvent intrusif, parfois heurté, un rien négligent aux entournures, est‑il aussi en partie responsable de cette impression de lecture insuffisamment affranchie des valeurs de note et des barres de mesure. En tout cas, au cours de cette longue section Schumann, chacune des deux équipes marque ses points, mais ni l’une ni l’autre ne convainc totalement.


Confrontation à un bien meilleur niveau pour les Fêtes galantes de Debussy. Dans le premier cahier, Glen Cunningham se révèle un bon mélodiste, au français maîtrisé presque sans défaut de coloration sur les voyelles, et avec des moments d’exquise sensibilité, notamment pour un ineffable « Clair de lune », où Anna Tilbrook déploie aussi de très belles sonorités au piano. Le seul problème est qu’ensuite ce sont Stéphane Degout et Alain Planès qui prennent la parole, et leur maîtrise de leur instrument respectif dans ce répertoire‑là est d’une telle subtilité qu’il ne nous reste plus qu’à les écouter religieusement, car avec eux la mélodie quitte définitivement le monde des salons pour atteindre une forme d’absolu. D’abord le piano d’Alain Planès pourrait se suffire à lui‑même, d’une précision et d’une intuition des couleurs qui nous rappelle immédiatement son enregistrement des Préludes de Debussy (Harmonic Records), à notre avis toujours une vraie référence, malgré ses bientôt quarante ans d’âge. Et puis la voix de Stéphane Degout est vraiment idéale pour donner vie aux vers de Verlaine, avec exactement le poids requis, donc ni trop, ni trop peu. A ce titre, « Colloque sentimental » nous aura semblé vraiment le moment le plus incroyablement intense de cette soirée, alors que pourtant tout s’y déroule, hormis un bref forte sur deux mesures, exclusivement entre les nuances piano et pianissimo.


Après l’entracte, on peut déplorer que Glen Cunnigham, en cette année de centenaire, occasion inespérée de mettre en valeur des pages de Fauré qu’on ne joue presque jamais en public, n’ait pas choisi des mélodies un peu moins banales que Chanson d’amour ou Le Secret. D’autant plus que l’univers sophistiqué du dernier Fauré, celui des Mirages, par exemple, pourrait remarquablement bien lui convenir. A défaut, ses interprétations, toujours avenantes, se dévident agréablement, mais ne marquent pas assez, faute aussi d’un timbre plus riche. Comme si quelque chose d’un peu « coincé » dans l’attitude générale rejaillissait sur la couleur d’une voix trop mince, faute de réussir à ouvrir davantage les résonateurs qui pourraient l’enrichir : sans doute une vraie marge de progression technique à explorer...


Le Fauré de Stéphane Degout et Alain Planès, lui, reste de référence, et particulièrement leur Horizon chimérique, qui était aussi le point fort de leur récital Fauré paru récemment chez Harmonia Mundi. L’essor altier de la voix, l’élégance des phrasés, la sincérité d’un interprète qui maîtrise totalement son sujet, tout cela défie toute critique, et il n’y a plus, ici aussi, qu’à écouter religieusement.


On aimerait beaucoup pouvoir en dire autant des Quatre chants sérieux de Brahms, qui concluent la soirée. Mais là, si Stéphane Degout s’affirme effectivement comme un très bel interprète possible pour ces pages crépusculaires, à chanter avec une véritable intériorité, le piano d’Alain Planès paraît en revanche fréquemment trop extérieur, insuffisamment discret et fusionnel avec la voix. On garde trop en mémoire, certes seulement au disque, car ces pages sont rarement chantées en concert, parce que cerner face à un public leur dimension avant tout intime est difficile, le souvenir d’un Gerald Moore, d’une Elisabeth Leonskaïa ou d’un Christoph Eschenbach, pour ne pas trouver ici l’approfondissement pianistique un peu sommaire.


On note enfin que ce même récital est annoncé à Londres, au Wigmore Hall, en janvier 2025, avec un programme voisin, mais que là Stéphane Degout sera accompagné par Cédric Tiberghien. Une collaboration que l’on peut pressentir, sinon comme plus adéquate, au moins comme relativement différente.



Laurent Barthel

 

 

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