Back
Un couple assorti Paris Théâtre des Champs-Elysées 11/07/2024 - Gioachino Rossini : Le Comte Ory Cyrille Dubois (Le comte Ory), Sara Blanch (La comtesse Adèle), Ambroisine Bré (Isolier), Monica Bacelli (Ragonde), Nicola Ulivieri (Le Gouverneur), Sergio Villegas-Galvain (Raimbaud), Marielou Jacquard (Alice), Lucas Pauchet, Violette Clapeyron, Pierre Barret‑Mémy (Trois Coryphées)
Chœur de chambre de Rouen et Chœur Sorbonne Université, Frédéric Pineau (chef de chœur), Orchestre de chambre de Paris, Patrick Lange (direction)
C. Dubois (© Jean-Baptiste Millot)
Un libertin déguisé en ermite, puis en religieuse, pour séduire une belle comtesse dont le frère est parti en croisade, voilà qui sent un peu le soufre. Et quand, dans la chambre de la dame, à la faveur de l’obscurité, il la confond avec son propre page dans une très ambiguë scène à trois, la polissonnerie prend un tour plus licencieux encore. Il y avait là matière à stimuler la verve polissonne d’un Rossini devenu parisien, dont ce Comte Ory serait l’avant‑dernier opéra, un an avant Guillaume Tell. Au premier acte, il recycle beaucoup du Voyage à Reims, alors que le second est presque entièrement nouveau. L’opéra marie heureusement le style français et la virtuosité belcantiste, exigeant des voix très aguerries, comme celles de la création à l’Opéra de Paris le 20 août 1828 – y brillaient les étoiles de la maison, Adolphe Nourrit en Ory, Nicolas Levasseur en Gouverneur, Henri‑Bernard Dabadie en Raimbaud, Laure Cinti‑Damoreau en Comtesse Adèle.
Les Champs‑Elysées n’ont pas réuni un telle constellation, mais ont eu la main heureuse pour le séducteur et sa proie. Si le timbre paraît un rien durci, si la technique s’avère plus française qu’italienne, Cyrille Dubois impose un Comte Ory de haute école, par l’homogénéité de la tessiture, jusqu’à des aigus insolents, la souplesse de l’émission, avec d’impeccables passages du registre de poitrine à celui de tête, le délié de la vocalise, l’élégance du phrasé, le sens du comique aussi – son apparition en religieuse est impayable. Il trouve en Sara Blanch une partenaire idéale, plus authentiquement rossinienne pour le coup, légère mais longue et charnue, virtuosité à toute épreuve et cantabile de velours, composant une Comtesse Adèle à laquelle, comme le faux ermite, on ne résiste pas. Et comme Ambroisine Bré campe un page charmant et stylé, la scène trioliste constitue une des pépites de la soirée.
Les autres chanteurs ne dispensent pas les mêmes plaisirs. La pétulante Ragonde de Monica Bacelli ferait presque oublier qu’elle a perdu son médium et son grave, mais on n’entend plus que la Comtesse quand vient le duo ouvrant le second acte. Au moins n’a‑t‑elle pas d’air, alors que ceux des clés de fa sont redoutables, destinés à des voix étendues et virtuoses. Pourtant familier du cygne de Pesaro, Nicola Ulivieri n’est pas ce soir la basse bouffe attendue pour le Gouverneur dans « Veiller sans cesse », où il faut couvrir deux octaves : le grave manque, le panache de la vocalise également. On ne reprochera pas à Sergio Villegas-Galvain d’être encore vert en Raimbaud, mais de ne pas se projeter et d’être dépassé par le chant syllabique rapide et les écarts assassins de sa cabalette parodique.
Patrick Lange a le sens du théâtre et soutient brillamment ses chanteurs, à la tête d’un orchestre toujours aussi excellent – et d’un chœur à la hauteur de sa tâche. Il se montre néanmoins plus narrateur que coloriste, peu soucieux de faire pétiller l’orchestre de Rossini et d’en révéler les subtilités, que même un Berlioz, guère porté sur les Italiens, se plaisait à souligner. Et l’impression laissée par André Chénier se confirme : depuis l’installation du nouveau décor d’orchestre, les instruments couvrent souvent les voix.
Didier van Moere
|