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La « polyphonie lyrique » de Rebecca Sauders

Paris
Cité de la musique
11/08/2024 -  
Rebecca Saunders : Scar – Skin – Skull
Juliet Fraser (soprano)
Julien Aléonard (ingénieur du son), Ensemble intercontemporain, Pierre Bleuse (direction)


R. Saunders (© Anne-Elise Grosbois)


L’Ensemble intercontemporain (EIC) présente en première française le triptyque Skin/Scar/Skull dans son intégralité. S’y déploie, « pli selon pli », un portrait musical de Rebecca Saunders (née en 1967).


Consciente qu’un art surgi de l’agressivité féminine continue d’être un tabou, Saunders déclarait (Compositrices : L’Egalité en acte, Editions MF) : « Même les collègues les plus tolérants ont un problème avec le fait qu’une femme exprime si clairement des agressions dans son art ». On retrouve cette violence dans Scar (2019), où le discours est conduit par le dialogue des deux pianos se faisant face. Mais l’on goûte autant la raucité de la contrebasse, les transitoires de l’accordéon (Vincent Lhermet, « musicien supplémentaire » régulièrement sollicité par l’EIC) et de la guitare électrique ; et ces gestes extrêmes – typiques de la Britannique – dont la sauvagerie ressort avec d’autant plus de relief qu’ils sont entrecoupés de brisures de silence. La gestique persuasive de Pierre Bleuse parvient d’ailleurs à maintenir un long silence à la fin de la pièce, sas de décompression nécessaire après un tel (sur)investissement des musiciens.


La peau, selon Rebecca Saunders, est avant tout celle qui enrobe un texte et sur laquelle les différentes interrogations, interprétations et anamnèses laissent des traces. Inspiré du fameux monologue de Molly Bloom et de la pièce de Beckett Ghost Trio, Skin (2016) a été composé de conserve avec la soprano Juliet Fraser. La partition, tel le sismographe d’un flux de conscience, ouvre l’empan de l’imaginaire en intégrant une large gamme expressive, du balbutiement à la vocifération hystérique, auxquels l’ensemble chambriste apporte son soutien. Y transitent immanquablement quelques souvenirs du pionnier Thema (Omaggio a Joyce) (1958) de Luciano Berio. L’investissement de Juliet Fraser (cf. l’arsenal d’éléments mis en place pour entraver la projection) relève du sacerdoce. Mais on pourrait en dire tout autant du fabuleux trompettiste Lucas Lipari‑Mayer, qui écope d’une partie d’une rare exigence en termes de plasticité de la ligne et de variété d’émissions (sourdine).


Le dernier volet, Skull (2023), investit le temps long au cours de quarante minutes d’une musique sourde et à l’instrumentation comme obscurcie : « l’accent timbral principal se situe dans les gammes graves des instruments » cependant que l’orgue électrique se substitue au piano, à l’accordéon et à la guitare électrique. Cela n’empêchera pas des réminiscences des deux précédentes pièces d’affleurer au détour de celle « polyphonie lyrique » (Saunders) à laquelle l’infrachromatisme confère un aspect dolent, sinon plaintif.


Le public, sous le choc – autant que les instrumentistes et le chef sur scène –, manifeste pleinement son adhésion à cette musique puissante, d’une beauté intransigeante.


Le site de Rebecca Saunders
Le site de Juliet Fraser
Le site de Pierre Bleuse



Jérémie Bigorie

 

 

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