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Il était une fois L’Or du Rhin Milano Teatro alla Scala 10/28/2024 - et 31 octobre, 3*, 5, 7, 10 novembre 2024 Richard Wagner : Das Rheingold Michael Volle (Wotan), Andrè Schuen (Donner), Siyabonga Maqungo (Froh), Norbert Ernst (Loge), Olafur Sigurdarson (Alberich), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime), Jongmin Park (Fasolt), Ain Anger (Fafner), Okka von der Damerau (Fricka), Olga Bezsmertna (Freia), Christa Mayer (Erda), Andrea Carroll (Woglinde), Svetlina Stoyanova (Wellgunde), Virginie Verrez (Flosshilde)
Coro del Teatro alla Scala, Alberto Malazzi (préparation), Orchestra del Teatro alla Scala, Simone Young*/Alexander Soddy (direction musicale)
David McVicar (mise en scène et décors), Hannah Postlethwaite (décors), Emma Kingsbury (costumes), David Finn (lumières), Katy Tucker (vidéo), Gareth Mole (chorégraphie), David Greeves (maître d’arts martiaux, prestations de cirque)
(© Brescia e Amisano/Teatro alla Scala)
Dernier titre de la saison 2023-2024 à la Scala, L’Or du Rhin marque le début d’un nouveau Ring à Milan, onze ans après une Tétralogie confiée à Daniel Barenboim pour la partie musicale et à Guy Cassiers pour la réalisation scénique. Le projet doit s’étendre sur dix‑huit mois : La Walkyrie est programmé pour février 2025, Siegfried pour juin 2025 puis Le Crépuscule des dieux pour février 2026, avant deux cycles complets fin février/début mars 2026.
Cette nouvelle Tétralogie milanaise est mise en scène par David McVicar, qui a déjà signé un Ring mémorable à l’Opéra national du Rhin, qui avait débuté en 2007. Ceux qui ont assisté aux représentations de Strasbourg n’ont pas manqué de constater les très nombreuses similitudes avec L’Or du Rhin de la Scala. Parfaitement fidèle à l’intrigue, David McVicar a suivi le livret à la lettre, en en donnant une lecture parfaitement lisible et compréhensible. Il a clairement privilégié la fable, voire le conte pour enfants (sans aucun jugement dépréciatif), peuplant le plateau de nains et de géants, faisant porter aux personnages des costumes fantaisistes et des masques qui accentuent leur côté grotesque, avec de superbes jeux de lumière. Pas de considérations politico-historico-philosophiques ici, mais beaucoup d’ironie et de distanciation.
Au début du spectacle, les Filles du Rhin sont posées sur trois mains géantes pivotant sur le plateau. La main est d’ailleurs un des symboles clés de cette production puisqu’à chaque baisser de rideau entre les différents tableaux apparaît une main géante noire entourée d’un cercle, tantôt bleu tantôt rouge. L’or est ici personnifié par un danseur qui se contorsionne de désespoir lorsqu’il est volé par Alberich, représenté comme un bouffon avec un chapeau à multiples cornes et un fouet à la main. Pour le deuxième tableau, le plateau est occupé par une structure tournant sur elle‑même et présentant un grand escalier sur l’un de ses côtés. Les dieux portent des masques, Donner et Froh de larges robes à crinoline et Wotan une cuirasse et une lance. Loge arbore un couvre‑chef rouge vif et est toujours suivi de deux figurants ne cessant d’agiter leurs mains, donnant au personnage des airs de déesse Shiva. Fafner et Fasolt se déplacent sur des échasses et leur tête est surmontée d’un masque géant. Une énorme tête de mort soutenue par des poutres de bois représente le Nibelheim pour le troisième tableau, où les Nibelungen sont des lutins vêtus de vert (on imagine que les figurants sont des enfants, vu leur petite taille). Le dragon est en fait un immense squelette porté par trois figurants. Pour le quatrième et dernier tableau, l’or que les Géants accumulent en échange de Freia se transforme en masque doré géant. Erda apparaît sous le grand escalier, elle arbore de très longs cheveux gris et tient à la main une mappemonde bleue qu’elle tend à Wotan. Après l’éclair déclenché par Donner à l’aide de son immense marteau, le plateau se pare de toutes les couleurs de l’arc‑en‑ciel. Le spectacle se termine sur une image sublime : alors que les dieux montent au Walhalla, le danseur personnifiant l’or réapparaît en se démenant, mais couvert de sang cette fois, et tentant vainement d’atteindre l’escalier emprunté par Wotan et sa suite. En résumé, David McVicar a voulu raconter une histoire, tout simplement. Le parti pris scénique de la fable fonctionne parfaitement pour L’Or du Rhin et son univers surnaturel. Si on peut supposer que la même démarche devrait réussir à Siegfried, on est plus circonspect pour les deux autres journées, mais faisons confiance au metteur en scène, qui ne manque pas d’idées !
Ce nouveau Ring milanais aurait dû être dirigé par Christian Thielemann, lequel, souffrant d’une tendinite, a annulé à la dernière minute sa participation non seulement à L’Or du Rhin mais à l’ensemble de la Tétralogie, estimant qu’il n’était pas concevable de ne pas diriger l’entier du cycle wagnérien. Il a dû être remplacé en catastrophe par Simone Young, la première femme à avoir dirigé le Ring à Bayreuth et, du coup, la première à le diriger à la Scala. Mais le calendrier de la cheffe ne lui permettant pas d’assurer toutes les représentations prévues, elle partage la baguette avec le britannique Alexander Soddy, également pour les épisodes ultérieurs. Gageons que les lectures des deux maestri devraient être en harmonie car Alexander Soddy a été l’assistant de Simone Young pour un Ring à Hambourg il y a vingt ans. La cheffe australienne a offert une lecture presque chambriste de la partition de Wagner, avec des textures allégées, en en faisant une conversation en musique et en ne couvrant jamais les chanteurs. Le flux musical s’écoule parfaitement pendant toute la durée de la représentation, avec une belle gamme de nuances et de couleurs, même si le phrasé peut sembler un peu sec, manquant de moelleux. Après un début de Prélude jalonné de plusieurs soucis de coordination, tout est rentré dans l’ordre par la suite pour déboucher sur une lecture précise et efficace, à défaut d’être exaltante.
La distribution vocale a été assemblée avec beaucoup de soin et se révèle parfaitement homogène. Même si son timbre a un peu perdu de son lustre, Michael Volle incarne un Wotan à la diction impeccable, un Wotan mélancolique et désabusé, davantage humain que dieu, un Wotan las et fatigué aussi, qui se déplace lentement, toujours appuyé sur sa lance. Voix chaude et corsée, Okka von der Damerau campe une Fricka altière mais revêche et frustrée, jouant les grandes bourgeoises. La Freia d’Olga Bezsmertna séduit par son chant limpide et lumineux. Andrè Schuen est un Donner sobre et solennel, alors que le Froh de Siyabonga Maqungo déploie un chant clair et délicat. Fafner sans grand relief au demeurant, Ain Anger pâlit de la présence à ses côtés du Fasolt de Jongmin Park, au timbre sonore et percutant. Christa Mayer campe une Erda particulièrement émouvante et expressive. Malgré une voix plutôt modeste, Norbert Ernst est un Loge maniéré et mielleux à souhait, essayant de s’attirer les bonnes grâces de tous. Particulièrement applaudi au rideau final, Olafur Sigurdarson confère à Alberich des accents mordants, incarnant un personnage foncièrement noir certes, mais aussi plein d’ironie et de dérision. Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, qui était déjà Mime dans le dernier Ring de la Scala, séduit par son expressivité et sa présence scénique. On mentionnera aussi les prestations convaincantes des trois Filles du Rhin (Andrea Carroll, Svetlina Stoyanova et Virginie Verrez). Cet Or du Rhin augure bien de la suite de cette Tétralogie milanaise.
Claudio Poloni
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