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Deux très grands Paris Philharmonie 11/02/2024 - et 3 novembre 2024 (Köln) Mikhaïl Glinka : Rouslan et Ludmila : Ouverture
Serge Rachmaninov : Rhapsodie sur un thème de Paganini, opus 43
Nikolaï Rimski-Korsakov : Shéhérazade, opus 35 Alexandre Kantorow (piano)
Münchner Philharmoniker, Tugan Sokhiev (direction)
A. Kantorow, T. Sokhiev (© Antoine Benoît‑Godet/Cheeese)
Salle comble ce soir en ce premier samedi de novembre – sans doute l’effet Alexandre Kantorow, le pianiste français mis en lumière lors de l’ouverture des jeux Olympiques de Paris mais aussi et surtout auréolé de sa victoire au Concours Tchaïkovski en 2019. En tout cas, ce public venu en nombre n’a pas été déçu par ce magnifique programme russe mené en osmose par deux très grands musiciens.
En début de concert la célèbre ouverture de Rouslan et Ludmlla de Glinka est menée avec l’énergie requise mais sans excès sous la direction à mains nues et très efficace de Tugan Sokhiev. L’Orchestre philharmonique de Munich sonne typiquement allemand (belles cordes, notamment les graves) et les musiciens sont investis et précis. On est juste un peu étonné de la présence parfois trop sonore (au moins au premier balcon) des trompettes et trombones, placés ce soir au centre de l’orchestre. Détail, tant ce début de concert est vivant et augure bien de la suite.
Place ensuite à la célèbre Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov. Créée par le compositeur en 1934 à Baltimore sous la direction de Leopold Stokowski, cette œuvre est parfois considérée comme le cinquième concerto du compositeur russe. Fondée sur le vingt-quatrième Caprice de Paganini, elle est composée de vingt‑quatre variations. L’interprétation d’Alexandre Kantorow est tout simplement superlative. A ce niveau, il n’est plus question d’agilité digitale, de technique ou d’expressivité mais juste de musique. L’utilisation à bon escient de la pédale, la main droite flamboyante, la main gauche souveraine comme l’équilibre parfait avec l’orchestre, participent d’une exécution passionnante de bout en bout. Tugan Sokhiev, à l’écoute de son soliste, est plus qu’un accompagnateur, il participe de cette superbe interprétation soulignant bien les contrastes et la richesse d’une musique foisonnante. La réactivité de l’orchestre munichois est exemplaire. Superbe !
Un premier bis éclaire d’un jour différent les qualités du pianiste français : l’arrangement par Liszt de la « Mort d’Isolde » de Wagner séduit par sa maîtrise confondante du texte, des nuances et de l’esprit de l’œuvre. Ce toucher si rare est également flagrant dans le second bis, un arrangement du lied Litanies pour la fête de toutes les âmes de Schubert, que l’on doit aussi à Liszt, tout aussi passionnant et maîtrisé.
Après l’entracte, place à Shéhérazade de Rimski‑Korsakov, que Tugan Sokhiev dirige partition ouverte sur le pupitre, mais sans y jeter un œil. On sait le chef familier de cette œuvre souvent donnée avec l’Orchestre national du Capitole de Toulouse mais aussi en mars 2023 avec les Wiener Philharmoniker à la Halle aux grains. Le moins que l’on puisse dire c’est que cette interprétation est constamment passionnante. Tugan Sokhiev sollicite régulièrement ses musiciens avec une évidente attention aux voix secondaires (alti, violoncelles) parfaitement audibles ici. Il demande beaucoup de nuances, en particulier aux bois qui parviennent à des pianissimi superbement réalisés notamment par le bassoniste Raffaele Giannotti et la clarinettiste Alexandra Gruber. Les cors, dont le célèbre premier cor chilien Matías Pineira, se couvrent de gloire. Comme la violoniste Naoka Aoki, même si elle joue le passage soliste avec un peu de réserve. Floris Mijnders est lui aussi un fort beau violoncelle solo. Les quatre mouvements sont enchaînés sans temps mort et sans aucune baisse de tension. La musique circule d’un pupitre à l’autre sous la direction chaude et passionnée d’un Tugan Sokhiev qui contrôle tout, évite les excès et la caricature, mais sans brider ses musiciens.
Le succès incite Tugan Sokhiev à offrir en bis une rareté, le « Hopak », une valse d’inspiration ukrainienne extraite de l’opéra inachevé de Moussorgski La Foire de Sorotchintsy. Le public est définitivement comblé. Et l’orchestre et son chef désormais prêts à une grande tournée en Asie, qui s’annonce triomphale.
Gilles Lesur
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