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Divin ennui

Paris
Philharmonie
11/01/2024 -  et 5 (Toulouse), 7 (Compiègne) novembre 2024
Wolfgang Amadeus Mozart : La finta giardiniera, K. 196 : Ouverture – Idomeneo (Musique de ballet), K. 367 : 1b. « Larghetto pour Mme Hartig » & 5. « Passacaille pour M. Antoine » – La clemenza di Tito, K. 621 : Récitatif et air « Ecco il punto, o Vitellia!... Non più di fiori »
Christoph Willibald Gluck : Alceste : « Divinités du Styx » – Orphée et Eurydice : « Ballet des Ombres heureuses » & « Danse des furies » – Iphigénie en Tauride : « O malheureuse Iphigénie » – Armide : Chaconne & « Ah ! Si la liberté me doit être ravie »
Luigi Cherubini : Médée : « Vous voyez de vos fils la mère infortunée » – Démophoon : « Ah ! Peut‑être mes dieux ! »
Niccolò Piccinni : Didon : « Non, ce n’est plus pour moi »
Louis-Claude-Armand Chardin : C’est mon ami
Johann Paul Aegidius Martini : Plaisir d’amour (orchestration Hector Berlioz)

Sonya Yoncheva (soprano)
Les Arts Florissants, William Christie (direction)


S. Yoncheva, W. Christie (© Vincent Pontet)


Qu’elle a bien changé Sonya Yoncheva ! Qui se souvient aujourd’hui (sauf si l’on regarde la vidéo sur YouTube) de la jeune et timide soprano bulgare, choriste à l’Opéra de Genève, qui auditionna devant William Christie en 2006 (avec un air tiré d’Hippolyte et Aricie de Rameau) pour intégrer avec succès le Jardin des Voix, berceau de bien des jeunes pousses « cultivées » par le grand chef que l’on connaît ? Depuis, les rôles se sont diversifiés (de Puccini à Giordano, de Tchaïkovski à Mahler), les succès se sont accumulés, les scènes les plus prestigieuses (de La Scala au Met en passant par Salzbourg) se sont ouvertes et, ce soir, c’est en véritable diva que Sonya Yoncheva est apparue sur la scène d’une Philharmonie de Paris comble. Vêtue d’une large robe rouge‑orangé en première partie, ayant troqué cette tenue pour une robe à bustier blanche et pailletée en seconde partie, elle adresse saluts de la main et baisers au public enthousiaste, cultivant une image de star dont elle jouera à plein lors de ce premier concert d’une série de trois, qui marquent ses retrouvailles avec William Christie, son mentor, sa bonne étoile pourrait‑on dire.


Mais pour quel résultat ?


Car si l’on s’attendait à beaucoup, force est de constater qu’on aura eu très peu. Constatons tout d’abord que le titre du récital, « Sonya Yoncheva – Marie-Antoinette », outre qu’il cède quelque peu à notre sens à la facilité commerciale, ne correspond guère au contenu de la soirée. On sait, comme l’a notamment montré Patrick Barbier dans un récent ouvrage que la reine Marie‑Antoinette fut une musicienne avertie et une mécène audacieuse, loin de l’image frivole que l’Histoire aura su lui accoler. Alors, certes, elle a rencontré Mozart mais ce fut à Vienne en 1762, la venue du compositeur à Paris en 1778 n’ayant pas permis de les faire se rencontrer de nouveau : de fait, pourquoi tant d’extraits de ses œuvres lors de ce concert ? De même, que vient faire Médée de Cherubini, opéra créé en 1797 quatre ans après la mort sur l’échafaud de la « veuve Capet », le lien entre les deux n’étant de fait pas des plus limpide ? Et, au contraire, si l’on souhaitait réellement mettre en regard Marie‑Antoinette avec son implication dans la vie musicale française de l’époque, pourquoi ne pas avoir tiré quelque air tiré d’un opéra de Paisiello ou de Salieri, compositeurs ô combien appréciés par la jeune reine de France ? Pourquoi ne pas avoir pris un extrait d’Iphigénie en Aulide de Gluck dont la création, le 19 avril 1774, a beaucoup dû à l’insistance de la souveraine, qui ne fut ainsi pas pour rien dans le succès de l’entreprise ? Pourquoi ne pas avoir choisi un extrait d’un opéra de Monsigny (au choix, Aline, reine de Golconde ou Le Roi et le Fermier) que la jeune reine appréciait tout particulièrement ? En outre, si l’on aborde maintenant les pièces purement orchestrales, on pourra trouver dommage qu’aucun concerto pour harpe de Jean‑Baptiste Krumpholtz n’ait été choisi alors que Les Arts Florissants bénéficiaient ce soir du concours de l’excellente harpiste Marie Bournisien, de même qu’un ballet issu d’un des nombreux opéras de Grétry, compositeur en faveur duquel Marie‑Antoinette aura toujours milité.


Une fois ces réserves émises, écoutons la musique mais, avouons tout de suite que Sonya Yoncheva commença assez mal avec un air, « Divinités du Styx », à la prononciation hasardeuse et engorgée (heureusement que le surtitrage des airs, pourtant en français pour la plupart, ait permis de suivre chacune de ses paroles), la soprano privilégiant le seul côté altier de l’extrait sur le sens à véritablement donner aux mots. Et c’est là que le bât blesse ! Car Sonya Yoncheva ne se sera finalement jamais départie de cette constante tentation à minauder, à accentuer ce qui requiert avant tout simplicité et pureté de la ligne vocale (l’air d’Armide, d’une platitude totale), le chant finissant très rapidement par ennuyer le spectateur. A ce titre, au sein d’une seconde partie fortement soporifique et sans élan, la palme revient sans doute au Plaisir d’amour de Martini mais même Mozart en subit les affres (les superbes récitatif « Ecco il punto, o Vitellia » et air « Non più di fiori », tous deux tirés du second acte de La Clémence de Titus ne finissent pas de finir). Soyons honnête, la jeune soprano a de la musicalité, possède une réelle technique vocale, sait susurrer les mots quand il le faut (l’air « O malheureuse Iphigénie » fut très réussi), mais tout cela nous aura semblé bien artificiel, comme ce dialogue hors sujet souhaité entre la chanteuse et William Christie en début de seconde partie, Sonya Yoncheva se raccrochant sans cesse à ses partitions pour chanter des airs qu’elle ne nous aura pas semblé maîtriser pleinement.


C’est dommage car Les Arts Florissants auront plutôt été à la hauteur, même si on les a connus bien meilleurs. Les timbres sont très agréables (dans l’air d’Alceste, on vibre en entendant la harpe, les deux cors, les trois trombones et de très belles cordes), les musiciens sont bien impliqués (mention spéciale au pupitre de violoncelles) et William Christie dirige l’ensemble avec conviction. Pour autant, les violons témoignent d’une certaine verdeur, notamment dans l’air de Médée, on entend à plusieurs reprises quelques décalages chez les cordes et la passion n’est pas toujours au rendez‑vous (la célèbre « Danse des furies » aurait mérité d’être davantage enlevée, bien que globalement convaincante). On regrettera surtout, dans l’air de La Clémence de Titus, que la clarinette de basset ait été constamment couverte par l’orchestre, même quand celui‑ci jouait piano (et alors même qu’on lui avait installé un siège sur le devant de la scène, devant le chef et aux côtés de Sonya Yoncheva), le soliste instrumental ayant par ailleurs adopté un jeu des plus prosaïques là où Mozart requiert tout simplement de la vie et un peu plus de passion.


Et ce ne sont pas les deux bis offerts par Sonya Yoncheva au public qui bouleverseront une impression de programme mal ficelé et sans doute insuffisamment préparé. Peut‑être les spectateurs toulousains et compiégnois auront‑ils plus de chance ; c’est tout ce qu’on leur souhaite.


Le site de Sonya Yoncheva
Le site des Arts Florissants



Sébastien Gauthier

 

 

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