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Tauride bombardée Antwerp Opera Vlaanderen 10/25/2024 - et 27*, 29, 31 octobre, 2, 5 novembre 2024 Christoph Willibald Gluck : Iphigénie en Tauride Michèle Losier (Iphigénie), Kartal Karagedik (Oreste), Reinoud Van Mechelen (Pylade), Wolfgang Stefan Schwaiger (Thoas), Lucy Gibbs (Diane), Dagmara Dobrowolska (Une femme grecque, Première prêtresse), Hugo Kampschreur (Un Scythe), Thierry Vallier (Un ministre du sanctuaire), Bea Desmet (Seconde Prêtresse), Vincent Van der Valk (Agamemnon), Pleun van Engelen (Clytemnestre)
Koor Opera Ballet Vlaanderen, Jori Klomp (chef de chœur), Symfonisch Orkest Opera Ballet Vlaanderen, Benjamin Bayl (direction musicale)
Rafael R. Villalobos (mise en scène), Emanuele Sinisi (scénographie), Felipe Ramos (lumières)
(© Annemie Augustijns)
Vous reprendrez un peu de violence ? Si oui, rendez‑vous à Anvers pour cette Iphigénie en Tauride coproduite avec les opéras de Montpellier et de Séville. La mise en scène de Rafael R. Villalobos se déroule dans une salle de spectacle, bombardée durant une représentation. Voilà qui rappelle la triste destinée du théâtre de Marioupol. Mais cette transposition souligne la nature universelle et intemporelle du propos : s’attaquer à l’art, aux lieux de représentation, n’équivaut‑il pas à attaquer l’homme dans son essence ? Le metteur en scène rompt l’unité de lieu dans le troisième acte, un espace abstrait, dominé par le vert et le noir, avec, en son centre, la table d’un sinistre repas familial, avec Agamemnon, Clytemnestre, deux rôles parlés en néerlandais, et leurs enfants, le tout éclairé par de glauques néons. Les Atrides forment, il est vrai, une famille dysfonctionnelle.
Il s’agit là, somme toute, d’une tentative non dépourvue de pertinence mais un peu trop convenue d’interpréter ce récit mythologique. Rafael R. Villalobos a au moins le mérite de ne pas recourir à la vidéo et au dédoublement des personnages, deux pratiques désormais fréquentes à l’opéra. Il ne compte assurément pas non plus parmi ces metteurs en scène qui cherchent avant tout à divertir le public. Sa mise en scène, dans laquelle il convient de rechercher du sens, plutôt que de la beauté, à moins d’en trouver dans la poussière et le sang, donne à réfléchir et à ressentir. Sa Tosca, en 2021 à la Monnaie, ne nous avait d’ailleurs pas déplu, ainsi que son saisissant Voyage d’hiver cette saison, également dans la capitale. La direction d’acteur confère, en tout cas, une solide dimension théâtrale à la représentation.
Pour ceux qui peinent à adhérer à cette approche, il leur reste la sublime musique de Gluck, et celle‑ci est plutôt bien servie. La distribution, toutefois, n’aurait dû comporter que des chanteurs francophones, pour restituer avec plus d’authenticité le souffle tragique de cette œuvre, mais elle ne néglige pas la prononciation, à l’exception, étrangement, de Michèle Losier en Iphigénie. L’intensité et l’expression se dégagent nettement, de la prestation de la mezzo‑soprano québécoise, au détriment de la distinction et de la finesse, deux qualités toutefois pas totalement absentes. Mais l’interprétation aurait convaincu davantage si la prononciation avait été plus plaisante, comme celle des excellents Reinoud Van Mechelen en Pylade et, dans une moindre mesure, de Kartal Karagedik en Oreste. Le ténor belge et le baryton turc concilient mieux beauté vocale, tenue du chant et intelligibilité du texte. Les deux chanteurs, vêtus à l’identique, afin de souligner le lien étroit qui les unit, affichent, comme leur partenaire, beaucoup de présence, dans des registres expressifs quelque peu différents. Dans les deux rôles secondaires, Wolfgang Stefan Schwaiger, en Thoas, et Lucy Gibbs, en Diane, livrent de notables performances, lui mordant, elle gracieuse.
Benjamin Bayl dirige un orchestre bien équilibré entre vigueur et distinction. Bien qu’encore un peu trop épaisse, la sonorité se rapproche de celle des formations jouant sur instruments anciens, le chef ayant d’ailleurs l’habitude d’officier à la tête de ce genre d’ensemble, comme le Hanover Band, l’Akademie für Alte Musik et le Concerto Köln. Les musiciens se montrent précis, interagissent et fusionnent dans une cohésion remarquable. Les choristes délivrent, eux aussi, une prestation réjouissante, les voix féminines se distinguant tout particulièrement par leur finesse et leur expressivité.
Sébastien Foucart
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