Back
L’orchestre avant les voix Paris Théâtre des Champs-Elysées 10/18/2024 - et 16 octobre 2024 (Lyon) Umberto Giordano : Andrea Chénier Riccardo Massi (André Chénier), Anna Pirozzi (Madeleine de Coigny), Amartuvshin Enkhbat (Charles Gérard), Sophie Pondjiclis (La Comtesse de Coigny, Madelon), Thandiswa Mpongwana (Bersi), Robert Lewis (L’abbé), Pete Thanapat (Roucher), Alexander De Jong (Fléville, Mathieu), Filipp Varik (L’Incroyable), Hugo Santos (Dumas, Schmidt), Kwang‑Soun Kim (Fouquier-Tinville), Antoine Saint‑Espes (Un majordome)
Chœurs de l’Opéra de Lyon, Benedict Kearns (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra de Lyon, Daniele Rustioni (direction)
D. Rustioni (© Blandine Soulage)
André Chénier, c’est la Révolution qui dévore ses enfants. Mais la mort du poète, où le suit sa bien‑aimée Madeleine de Coigny, comme Blanche de la Force, chez Poulenc, rejoindra plus tard ses sœurs carmélites au pied de la guillotine, est « le triomphe de l’amour ». La Révolution n’a pas non plus perverti Charles Gérard, le laquais haineux devenu jacobin fanatique, si proche de Iago... et de Scarpia : quand il propose à Madeleine de se donner à lui pour sauver Chénier, il est touché par son amour et tente, en vain, d’arracher son rival à la mort. L’opéra de Giordano, finalement, est une charge contre l’arbitraire et la tyrannie.
La version de concert lyonnaise, donnée deux jours avant à l’Auditorium de la capitale des Gaules, appelle à la fois des éloges et des réserves. Timbre ordinaire, aigus sans éclat mais tessiture homogène, Riccardo Massi assume très probement le destin du martyr, avec une ligne châtiée, sans aura dans l’incarnation néanmoins, sans vraie vaillance dans « Sì, fui soldato », peinant à la fin. Anna Pirozzi suit une trajectoire inverse. Plutôt pâle au début, elle ne se libère qu’à partir du troisième acte, offrant une « mamma morta » chantée sur le souffle, pleine d’exquises nuances, redevenant totalement elle‑même au quatrième acte, incandescent, où elle fait de l’ombre à son bien‑aimé. Il n’empêche : le spinto opulent, au fort tempérament, a davantage marqué certains soirs à Bastille. Un couple stylé, en tout cas, bien qu’inégal parfois, qui évite le piège d’un « vérisme » mal compris. Amartuvshin Enkhbat, en revanche, s’y laisse prendre, lui dont le Carlo d’Ernani nous avait laissé un si fort souvenir. On ne reconnaît guère le baryton Verdi qu’il avait révélé et que l’on espère ici : il éructe sa haine au premier acte, dépourvu de ligne, heureusement plus policé et nuancé au troisième, surtout dans le « Nemico della patria » où le personnage prend conscience de n’être resté qu’ un esclave servant un nouveau maître. Autour d’eux gravite un cortège de figures secondaires, essentielles à l’action, qu’il faut caractériser pour faire vivre l’opéra. Artistes des chœurs ou membres du Lyon Opéra Studio, tous remplissent leur office, à commencer par l’Incroyable délateur de Filipp Varik ou la Bersi de Thandiswa Mpongwana. Et Sophie Pondjiclis, après avoir été la Comtesse de Coigny, dont l’assassinat sauve sa fille, donne un relief saisissant, même si elle y atteint ses limites, à Madelon, vieille femme offrant fils et petit‑fils à l’armée de la Révolution.
Malgré les qualités de cette distribution, c’est pourtant la direction de Daniele Rustioni qu’on garde d’abord en mémoire, même si elle paraît souvent très, voire trop sonore, sans doute à cause de l’acoustique de nouveau décor d’orchestre. Baguette fluide, à la fois puissante et raffinée, geste théâtral, le chef italien nous tient en haleine tout en créant des climats très divers grâce à un travail sur les timbres. Les grâces surannées du ballet des pastourelles, la violence de la foule déchaînée, l’ascension vers la lumière à la fin, tout y est, orchestre et chœur donnant le meilleur d’eux‑mêmes. André Chénier, ce sont des voix... et un orchestre.
Didier van Moere
|