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La musique dans la tourmente

Paris
Philharmonie
10/18/2024 -  et 19 octobre 2024 (Hamburg)
Jean Sibelius : Concerto pour violon en ré mineur, opus 47
Serge Rachmaninov : Danses symphoniques, opus 45

Daniel Lozakovich (violon)
Orchestre du Festival de Lucerne, Riccardo Chailly (direction)


R. Chailly (© Peter Fischli/Festival de Lucerne)


Voilà dix ans déjà que Claudio Abbado nous a quittés et, avec sa disparition, c’est l’Orchestre du Festival de Lucerne qui se retrouvait orphelin. Après une première création en 1938 sous la houlette de Toscanini (un Italien, déjà...), Abbado avait en effet décidé de reformer l’illustre phalange à partir de l’Orchestre des jeunes Gustav Mahler, rejoint par pléthore de musiciens venus des meilleurs orchestres (Orchestre philharmonique de Vienne, Orchestre symphonique de la Radio bavaroise, Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam...) et ensembles (les membres du Quatuor Hagen) du monde. Leur premier concert en août 2003 fut un véritable événement, préservé par le disque. A partir de 2014, l’orchestre recourut donc à quelques « expédients » de luxe (on se souvient de sa venue à la Philharmonie de Paris sous la baguette d’Andris Nelsons en novembre 2015) avant que son choix de nouveau directeur musical ne se porte sur un autre milanais, ancien assistant d’Abbado à la Scala : Riccardo Chailly. En dépit de certains problèmes de santé qui le conduisirent à être parfois remplacé par des chefs de renom (citons par exemple Yannick Nézet‑Séguin ou Herbert Blomstedt), Chailly en est donc le principal chef depuis 2016 et il les a d’ailleurs tout récemment dirigés dans de formidables interprétations de la Septième Symphonie de Mahler l’été dernier (concert visible sur Arte Live Web).


Les voici donc sur la scène parisienne de la Philharmonie pour un unique concert à même d’attirer une foule nombreuse, avant que le programme ne soit redonné le lendemain à l’Elbphilharmonie de Hambourg. Le Concerto pour violon de Sibelius est un véritable pont aux ânes pour tout violoniste qui se respecte mais il demande à bénéficier d’un soliste qui, outre une technique des plus solides, doit également avoir quelque chose à nous dire. Et c’est ce qui aura manqué ce soir au jeune Daniel Lozakovich, violoniste d’ores et déjà réputé en dépit de ses 23 ans à peine. Dès le premier mouvement (Allegro moderato), le violoniste adopte à la fois un jeu très sûr (quelle justesse ! quels aigus cristallins !) mais, malheureusement, des plus prudents au point d’en devenir presque lisse. La timidité du jeune homme transparaît tout au long du mouvement, le violon restant trop en retrait par rapport à l’orchestre, à rebours de l’affirmation presque terrienne que David Oistrakh ou Christian Ferras hier, Anne‑Sophie Mutter aujourd’hui (pour ne citer que trois références évidentes au disque) savaient lui conférer et du dialogue qu’ils savaient ainsi imposer avec l’orchestre. De fait, c’est à l’évidence dans le mouvement lent que Daniel Lozakovich se sera senti le plus à l’aise, son jeu diaphane correspondant mieux aux couleurs mordorées requises dans cet Adagio di molto. Là encore, on ne peut qu’être impressionné par sa précision, par ces sonorités d’une pureté incroyable qu’il fait naître de son Stradivarius « ex‑Sancy » de 1713 (saluons au passage la qualité d’écoute du public parisien, une fois n’est pas coutume...) mais on aurait tout de même apprécié un volume plus important, et non un jeu seulement donné sur la pointe des pieds. Le début de l’Allegro, ma non tanto semble renverser la vapeur avec un violon plus conquérant, qui souhaite visiblement s’imposer mais les difficultés techniques de la partition (que Lozakovich surmonte facilement, à défaut de les vaincre avec une totale aisance) prennent le dessus, le soliste veillant à ne rien rater et à s’accorder avec la mise en place de l’orchestre. De ce côté en revanche, quelle claque ! Alors même qu’il ne s’agit pas d’un orchestre permanent, on est ébahi de la première à la dernière note par cette cohésion (des pupitres de cordes à se damner, notamment les altos et les violoncelles mais également les violons, notamment dans le premier grand tutti du premier mouvement) et par l’excellence des solistes, en particulier les bois, fortement sollicités tout au long de la soirée. Comme il l’avait fait il y a quelques années à la tête du Philharmonique de Vienne, Riccardo Chailly dirige l’œuvre avec une sûreté évidente, sachant éclairer tel ou tel contrechant (l’alto solo de Wolfram Christ ou le basson solo de Guilhaume Santana) tout en dosant savamment les couleurs inquiétantes ou, au contraire, lumineuses du mouvement. Même réussite dans les deux autres mouvements où l’on assiste à une véritable démonstration même si la fin ne « claque » pas autant qu’on aurait pu le souhaiter. En bis, Daniel Lozakovich nous offrit la Troisième Sonate en ré mineur « Ballade » d’Eugène Ysaÿe : ce fut finalement ce morceau qui lui permit de recevoir les plus belles acclamations, son interprétation ayant en effet allié musicalité et technique virtuose avec maestria.


Lorsqu’il composa ses Danses symphoniques (1940), créées par l’Orchestre de Philadelphie sous la baguette d’Eugène Ormandy, Serge Rachmaninov était arrivé au soir de sa vie puisqu’il devait disparaître trois ans plus tard. Cette œuvre est donc, si l’on excepte les quelques remaniements de la partie orchestrale du Quatrième Concerto pour piano, sa dernière œuvre pour orchestre et elle doit donc être vue comme une sorte de kaléidoscope dans laquelle figurent l’ensemble des compositions et inspirations de toute une vie musicale. Ce n’est évidemment pas pour rien qu’on perçoit des sonorités que l’on a entendues auparavant aussi bien dans Le Rocher que dans sa Deuxième Symphonie ou même dans les Vêpres. Avec cette seconde partie, Riccardo Chailly et l’Orchestre du Festival de Lucerne nous offrirent une magistrale leçon d’orchestre. Là encore, il faut aller au‑delà de la richesse de la partition pour se souvenir que, composée en plein second conflit mondial, elle alterne moments de pur lyrisme et noirceur la plus totale, une course à l’abîme dans laquelle les sonorités doivent savoir se faire sombres et inquiétantes. Autant dire que la réussite aura été totale ! Le premier mouvement, qui porte curieusement la mention Non allegro, est splendide grâce à un orchestre chauffé à blanc, où les individualités méritent toutes d’être saluées : contentons‑nous d’accorder nos lauriers à Thomas Holzmann (clarinette), Femke Ijlstra (saxophone) et Miriam Pastor (cor anglais). Chef d’opéra comme il y en a peu aujourd’hui, Chailly sait magnifiquement user du lâcher‑prise, laissant l’orchestre chanter en veillant à préserver la polyphonie de cette partition foisonnante – par instant, on entendait presque des sonorités dignes de Manon Lescaut de Puccini – et sachant reprendre le fil juste là où c’est nécessaire. Du grand art ! Le deuxième mouvement est langoureux sans jamais être mièvre ou artificiel, la petite harmonie se couvrant de gloire de nouveau avant que le troisième mouvement ne nous emporte dans un véritable tourbillon. La palette de nuances et de couleurs est exploitée dans toute sa gamme, les emportements des cordes (quel pupitre de violoncelles décidément !) se doublant d’interventions solistes (Davide Lattuada à la clarinette basse, Reinhold Friedrich à la trompette ou le toujours aussi impeccable Raymond Curfs aux timbales) devant lesquelles on ne pouvait que rendre les armes.


L’ovation du public nous permit d’entendre un bis ; on pouvait imaginer une ouverture d’opéra italien ou la célébrissime Valse de Chostakovitch (puisque nous bénéficions de la présence d’un saxophone) que Riccardo Chailly a enregistrée pour Decca mais ç’aurait été oublier qu’il a notamment été le directeur musical de l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig. Aussi nous jouèrent‑ils un Scherzo de Rachmaninov, composé à l’âge de 14 ans, qui mit de nouveau à rude épreuve une petite harmonie étincelante (formidable Jacques Zoon à la flûte solo). Apothéose d’un concert de très grande tenue ; autant dire qu’on attend avec impatience le retour de Riccardo Chailly avec, cette fois‑ci, ses forces scaligères. Ce sera en mars 2025.


Le site de Riccardo Chailly
Le site de l’Orchestre du Festival de Lucerne



Sébastien Gauthier

 

 

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