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Une nature évocatrice

Paris
Philharmonie
10/15/2024 -  
Antonín Dvorák : Concerto pour violoncelle n° 2, opus 104, B. 191
Rita Strohl : Les Cygnes – Symphonie de la forêt

Marie Perbost (soprano), Steven Isserlis (violoncelle)
Orchestre national d’Ile-de-France, Case Scaglione (direction)


S. Isserlis (© Ondif)


Parmi les artistes les plus prestigieux invités cette saison par l’Orchestre national d’Ile‑de‑France (Ondif) figure en bonne place le violoncelliste Steven Isserlis : on est heureux de retrouver à Paris un interprète qui n’a pas son pareil pour faire vivre une liberté de phrasé, au goût toujours sûr dans l’exploration des moindres nuances. Son exubérance donne un ton imprévisible à sa prestation, qui donne un piquant bienvenu au célébrissime Concerto pour violoncelle de Dvorák : de quoi apporter un renouvellement constant à cet ouvrage rebattu. La direction très solide de Case Scaglione infuse un classicisme plus souverain en comparaison, sans vibrato ni pathos excessifs. La seule « excentricité » du chef américain consiste à jouer sur les variations de tempo – tantôt vifs dans les passages rapides, puis ralentis en contraste dans les parties apaisées. Avec ses deux généreux bis, le Britannique poursuit sur sa lancée expressive, en choisissant tout d’abord une courte mélodie arrangée par Pablo Casals, Le Chant des oiseaux, mêlant un côté sombre et étonnamment sensuel, avant de conclure, avec « Chonguri », extrait des Cinq Pièces sur des thèmes populaires géorgiens de Sulkhan Tsintsadze (1925‑1991), sur une note plus légère aux accents jazzy, grâce à sa maîtrise aérienne des pizzicati.


Après l’entracte, on est surpris de découvrir le chef Case Scaglione s’exprimer au micro, en un français quasi parfait, pour présenter le programme audacieux de la seconde partie, entièrement consacrée à la musique de Rita Strohl (1865‑1941). Si la Française a fait partie des vingt et une compositrices réunies dans le superbe coffret édité par le Palazzetto Bru Zane l’an passé, on doit surtout la résurgence de sa musique à l’éditeur La Boîte à pépites et à sa fondatrice, la violoncelliste Héloïse Luzzati. Cette dernière a porté plusieurs projets depuis 2022, tous centrés autour de compositrices comme Strohl, déjà honorée de trois disques (dont le dernier consacré à sa musique orchestrale, avec le concours de l’Ondif et Scaglione). Voilà qui devrait contribuer à changer peu à peu les habitudes, puisque durant la saison 2022‑2023, seules 6 % des œuvres de musique classique programmées en concert étaient composées par des femmes.


A l’instar de la découverte de la musique symphonique de Charlotte Sohy ou Augusta Holmès, celle de Rita Strohl est un choc qui bouscule tous les raccourcis ayant longtemps limité les compositrices à des artistes de salon, seulement dévolues aux petites formes. Admirée par Fauré et Saint‑Saëns, Rita Strohl a très tôt démontré, dès ses études au Conservatoire de Paris, un tempérament d’artiste indépendant et farouche, comme le détaille le passionnant livret du disque précité. Sa production considérable s’est étalée tout au long de sa vie, avec un nombre de créations de plus en plus restreint, compte tenu de son incapacité à briser le plafond de verre que rencontraient les femmes de son époque. Pour autant, on découvre dans sa musique autant une perfection de la forme qu’une hauteur d’inspiration éloquente, à même de démontrer son ambition et son talent. Un souffle postromantique ardent irrigue ainsi la mélodie pour orchestre Les Cygnes (1899), composée sur un poème de Georges Rodenbach, l’auteur symboliste belge qui inspire ensuite Korngold et sa Ville morte, en 1920. La soprano Marie Perbost, révélation Artiste lyrique des Victoires de la musique 2020, trouve ici un répertoire à la mesure de sa puissance aérienne en pleine voix, faisant valoir son timbre charnu, surtout dans l’aigu.


Scaglione enchaîne sur l’impressionnante Symphonie de la forêt (1901), dont l’orchestration pointilliste fait penser au Wagner coloriste des Maîtres-Chanteurs. Il est à noter qu’à Lieusaint le 18 octobre, le présent programme sera légèrement différent, puisque les « Murmures de la forêt » de Wagner seront donnés en lieu et place des Cygnes de Strohl. De quoi mettre en miroir la dette envers le maître allemand, audible en une myriade de sonorités qui parcourent l’orchestre comme une nuée frémissante. On pense aussi, à l’instar du chef, au lyrisme tour à tour langoureux et brulant de Scriabine (dont l’Orchestre de Paris interprétera la Deuxième Symphonie à la fin du mois).


Pour autant, Strohl n’évite pas quelques baisses de tension dans certains passages contemplatifs, il est vrai peu aidés par les tempi un peu sages de Scaglione. L’attention est relancée lors du second thème orientalisant entonné par le hautbois, qui éclaire la symphonie d’un visage plus lumineux. Le dernier mouvement donne ensuite davantage de caractère par ses scansions verticales, bien alternées par plusieurs chaleureux solos, notamment au violoncelle. De quoi donner envie de découvrir plus avant les autres productions symphoniques de Strohl, de la Symphonie de la mer (1902) au cycle monumental en sept parties Le Suprême Purusha (1923‑1939) : deux exemples qui évoquent autant ses racines bretonnes que ses quêtes spirituelles.



Florent Coudeyrat

 

 

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