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Moteur et... coupez !

Lille
Opéra
10/08/2024 -  et 10*, 12, 14, 16 octobre 2024
Nicola Porpora : Polifemo
Kangmin Justin Kim (Acis), Marie Lys (Galatée), Paul-Antoine Bénos‑Djian (Ulysse), Delphine Galou (Calypso), José Coca Loza (Polyphème), Florie Valiquette (Nérée)
Le Concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm (direction)
Bruno Ravella (mise en scène), Annemarie Woods (décors, costumes), D. M. Wood (lumières)


(© Frédéric Iovino)


L’Opéra de Lille monte à son tour la nouvelle production de Polifemo (1735), créée en février dernier à Strasbourg. Les œuvres de Nicola Porpora (1686‑1768) ne figurent pas aussi souvent à l’affiche que celles de Haendel, son concurrent à Londres, tous deux officiant à la tête de compagnies différentes, mais ce compositeur, à rapprocher d’un Hasse ou d’un Vinci, n’est pas du tout un inconnu. Ce dernier suscite en effet l’intérêt depuis plusieurs années d’illustres chanteurs, en particulier des contre‑ténors, qui incluent l’un ou l’autre de ses airs dans leur programme, au concert ou au disque. Ce Polifemo a même été donné, il y a quelques années, au Festival d’opéra baroque de Bayreuth, avec Max Emanuel Cencic dans le rôle d’Ulysse, le festival ayant aussi programmé, cet été, un autre ouvrage du compositeur, Iphigénie en Aulide.


Cette production permet donc de découvrir un ouvrage pour lequel manque encore une édition complète et définitive, fondée sur des sources exhaustives et originales. Elle n’offre sans doute pas une version complète et pleinement authentique d’un opéra qui pourrait réapparaître dans quelques années dans un aspect quelque peu différent, au gré des recherches musicologiques. Emmanuelle Haïm, comme elle le laisse penser dans l’entretien reproduit dans le programme, a dû se contenter de ce qu’elle a pu trouver, mais la base nous paraît largement suffisante pour apprécier ce Polifemo.


Bruno Ravella recourt au principe de la mise en abyme, en transposant le livret dans un studio de cinéma italien, dans les années 1960. Des acteurs interprètent les personnages mythologiques, dans de – volontairement – ringards décors en carton‑pâte. Grâce à ce procédé, le metteur en scène exploite assez habilement, non sans humour, ni second degré, le rapprochement, dans cet opera seria, de deux récits parallèles, l’histoire d’Acis et Galatée et celle d’Ulysse et Calypso. Etonnamment, malgré la présence de caméras sur la scène, le spectacle ne recourt aucunement à la vidéo, ce qu’il vaut la peine de mentionner, compte tenu de l’utilisation très, voire trop, fréquente de ce procédé à l’opéra aujourd’hui. Cela étant, même si l’idée de base parait bonne, le spectacle, qui se laisse plaisamment regarder, se déroule sans autres vraies trouvailles, originales ou inattendues, malgré la nature parfois loufoque ou amusante de certaines situations. Bien que ce soit John Wilkie qui assure la reprise de cette mise en scène, la direction d’acteur parvient à convaincre sans difficulté et à conférer suffisamment de vitalité à cet ouvrage assez long, et qui, probablement, l’aurait semblé davantage en version de concert.


La distribution, réduite à six chanteurs seulement, constitue un grand motif de satisfaction. Il s’agit d’ailleurs d’un des points forts de la direction de Caroline Sonrier, qui entame sa dernière saison à la tête de cette institution : avoir réussi, au cours de toutes ces années, à réunir, avec cohérence, des interprètes compétents et appropriés. Les solistes, tous vraiment excellents, livrent de belles incarnations, crédibles et vocalement de haut niveau, la virtuosité ne prenant jamais le dessus sur la justesse de l’expression. Ils ornementent également avec goût, sans ostentation, et agissent en phase avec les situations dramatiques, avec un mélange de grâce et d’aplomb vraiment remarquable. L’esprit de troupe domine clairement, personne ne cherchant à ravir la vedette à l’autre.


Les rôles incarnés par les deux contre‑ténors dans cette production furent chantés à l’époque par deux pointures, Farinelli et Senesino. Dans le film de Gérard Corbiau, le premier chante, à ce propos, un air extrait de Polifemo, « Alto Giove », un tube dans ce répertoire. Inutile de s’attarder dès lors sur le degré d’exigence de ces deux emplois, admirablement tenus par Kangmin Justin Kim, en Acis, et Paul-Antoine Bénos‑Djian, en Ulysse, deux interprètes fins et sensibles, brûlant d’un feu intérieur. Les rôles de Galatée et de Calypso ne présentent pas un intérêt musical majeur, du moins équivalent à ceux d’Acis et d’Ulysse, mais Marie Lys et Delphine Galou, qui participa aux représentations strasbourgeoises, offrent de belles et solides performances, grâce à de vraies qualités de timbre et d’expression. La Nérée de Florie Valiquette attire l’attention, par sa voix, belle et agile, mais aussi par son apparence, le personnage ressemblant dans cette production à une jeune femme aux courbes voluptueuses, semblable à Marylin Monroe. Le rôle‑titre ne présente vocalement pas autant d’importance que ceux d’Acis, d’Ulysse, de Galatée et de Calypso. Reprenant ce personnage, José Coca Loza se montre à la hauteur de ses partenaires, en ce compris sur le plan théâtral.


L’orchestre accompagne les récitatifs, ce qui atténue les creux et les baisses de régime. Sous la direction d’Emmanuelle Haïm, cette musique élaborée sonne avec naturel et raffinement, mais aussi avec expressivité et vigueur, partageant ainsi les mêmes qualités que les chanteurs. Le Concert d’Astrée répond remarquablement à sa conduite, avec ce qu’il faut de souplesse, de souffle et de sensualité. Les musiciens, dont le haut niveau ne doit plus être rappelé, rendent justice à cette partition, malgré quelques interventions faibles et déplaisantes des cuivres, probablement imputables à la nature récalcitrante de ces instruments anciens. Porpora sollicite, à ce propos, beaucoup les vents, et les bois se montrent fins et expressifs.


Le site de l’Opéra de Lille



Sébastien Foucart

 

 

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