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Deux couples idéaux

Paris
Maison de la radio et de la musique
10/11/2024 -  
Győrgy Ligeti : Clocks and Clouds – Lontano
Igor Stravinsky : Symphonie en trois mouvements – Symphonie de psaumes

Chœur de Radio France, Guillemette Daboval (cheffe de chœur), Philharmonique de Radio France, Barbara Hannigan (direction)


B. Hannigan (© Marco Borggreve)


Quoi de commun entre le néoclassique Stravinski et le moderniste Ligeti ? Une réappropriation du diatonisme. Le Hongrois le dit lui‑même, Clocks and Clouds, en 1973, « utilise une mélodie et une harmonie diatoniques, colorées de micro‑intervalles ». Lontano, en 1967, « offre un profil nettement diatonique et fonctionne sur la base d’innombrables canons en unisson ». Tout autorisait donc Barbara Hannigan à associer à ces deux opus phares de la création contemporaine de l’après‑guerre la Symphonie en trois mouvements et la Symphonie de psaumes du Russe. L’aîné et son cadet de quarante ans formeraient-ils un couple idéal ? En 2011, pour ses débuts à Radio France dans le cadre du festival Présences consacré à Esa‑Pekka Salonen, elle avait déjà apparié Mystères du Macabre, qu’elle avait elle‑même interprétés, et Renard.


Clocks and Clouds, dont le titre parodie le scientifique Karl Popper, allie les contraires au moyen d’un orchestre sans violons et de douze voix de femmes chantant un texte noté en alphabet phonétique, une partie difficile pour le souffle et la tessiture. Le Chœur de Radio France s’y illustre, porté par la direction à la fois narrative et hédoniste de Barbara Hannigan, qui, au‑delà du continuum en perpétuelle mutation rythmique ou chromatique, rebelle à toute sécheresse, invite l’imaginaire à créer les « associations poétiques » qu’évoque Ligeti.


Aux fondus-enchaînés de Clocks and Clouds succèdent les arêtes vives, les ostinatos syncopés, les réminiscences du Sacre et de Pétrouchka caractéristiques de la Symphonie en trois mouvements de 1945. Après la subtilité diffuse des microrythmes de Ligeti, les rudesses heurtées de la pulsation stravinskienne – deux réponses singulières à une même question. La Canadienne, remarquable de maîtrise, anguleuse et percussive, fait des mouvements extrêmes des kaléidoscopes de timbres et de rythmes, mais n’élude pas, sans l’affadir pour autant, l’émotion qui sourd discrètement de l’Andante, où passe parfois le souvenir de Pulcinella. On mesure grâce à elle toute l’ambiguïté de la position de Stravinsky par rapport à son œuvre : « Cela à la fois exprime et n’exprime pas mes sentiments... Chaque épisode [...] est relié dans mon imagination à une impression concrète, le plus souvent d’origine cinématographique, de la guerre. ».


Une approche « moderniste » de Lontano en ferait une chaîne d’agrégats sonores. Barbara Hannigan le dirige au contraire comme un poème symphonique, dont le début rappellerait presque Sibelius. Elle privilégie l’enchevêtrement des lignes, fait chanter – rien d’étonnant de la part de la soprano – la partition. Pas vraiment de rupture, du coup, quand vient la Symphonie de psaumes, où se revendique l’héritage des « vieux maîtres de la musique contrapuntique », avec chœur et orchestre « mis au même rang ». Le recours au latin comme langue morte et le bannissement des violons et des altos, censés éluder l’effusion romantique, ne figent nullement le rituel : on entend bien ici une créature entre angoisse et espérance. L’approche n’est plus celle de la Symphonie en trois mouvements : sonorités plus sombres et plus enveloppées, geste plus ample – l’évocation du char d’Elie au milieu de l’« Alleluia, laudate Dominum » final, s’avérerait, chez d’autres, plus agressive. Et la fugue de l’« Expectans expectavi Dominum » central ne sonnerait‑elle pas comme un hommage au Bach de la Passion selon saint Matthieu, notamment au chœur final de la première partie ? Lecture pleine de ferveur recueillie, avec un chœur et un orchestre qui, depuis le concert, se situent très haut. Le couple de la soirée, c’est aussi celui que forment Barbara Hannigan et le Philhar’, dont elle est la première artiste invitée depuis la saison 2022‑2023.



Didier van Moere

 

 

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