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Déshérité sur terre

Lyon
Opéra
10/02/2024 -  et 4, 6, 8, 10, 12, 14  octobre 2024
Alban Berg : Wozzeck, opus 7
Stéphane Degout (Wozzeck), Ambur Braid (Marie), Robert Watson (Tambourmajor), Thomas Ebenstein (Hauptmann), Thomas Faulkner (Doktor), Robert Lewis (Andres), Jenny Anne Flory (Margret), Hugo Santos, Alexander de Jong (Handwerksburschen), Filipp Varik (Der Narr), Didier Roussel (Un homme), Ivan Declinand*/Jeanne Bouchonnet (Maries Knabe)
Chœurs et Maîtrise de l’Opéra de Lyon, Benedict Kearns (chef des Chœurs et de la Maîtrise), Orchestre de l’Opéra de Lyon, Daniele Rustioni (direction musicale)
Richard Brunel (mise en scène), Etienne Pluss (scénographie), Thibault Vancraenenbroeck (costumes), Laurent Castaingt (lumières), Catherine Ailloud-Nicolas (dramaturgie)


(© Jean-Louis Fernandez)


L’Opéra de Lyon ouvre sa saison avec Wozzeck d’Alban Berg, dont on fêtera l’an prochain le centenaire de la création, dans une nouvelle production mise en scène par son directeur Richard Brunel.


Le premier des deux opéras de Berg n’avait pas été donné à Lyon depuis vingt ans. La coproduction avec Aix‑en‑Provence signée Stéphane Braunschweig affichait alors deux interprètes vedettes : Dietrich Henschel et Nina Stemme. Pour cette nouvelle production, Lyon compte sur une distribution homogène dominée par le baryton français Stéphane Degout, qui avait déjà chanté le rôle au Capitole de Toulouse en 2021.


Berg, qui a lui-même taillé dans le drame Woyzeck de Georg Büchner pour réaliser le livret de son opéra, a réalisé un découpage génial pour son projet musical mais qui peut sembler créer un scénario fragmenté. Richard Brunel comble les espaces entre ces différentes scènes en en réécrivant l’histoire. Telle qu’il la propose dans le résumé reproduit dans le programme de salle, l’histoire de Wozzeck est certes plus lisible dans son déroulement, au détriment d’un certain déplacement du message expressionniste prévu par Berg. Wozzeck n’est plus seulement « un déshérité sur terre » mais un prolétaire de notre société contemporaine, au psychisme très fragile, quasi borderline, que les mauvais traitements infligés par la société mènent au passage à l’acte qu’est le meurtre de sa femme. Certes on reste dans la problématique quasi racinienne de Phèdre : Marie le trompe malgré elle et il la tue malgré lui. Mais cet invitus invitam est déplacé de l’esthétique du monde soldatesque post‑guerre de Trente Ans à un monde contemporain de téléréalité et de dérives sociétales. L’action reste lisible car les personnages sont crédibles au prix de quelques petits coups de canif dans la trame, ajout de personnages, gommage du rôle de la nature et de ses éléments qui influencent tant le psychisme de Wozzeck...


Le décor d’Etienne Pluss et les costumes de Thibault Vancraenenbroek sont un atout fort de ce spectacle, qui se regarde avec certainement plus de passion que celui d’un Wozzeck joué dans une esthétique brechtienne, mais il faut bien admettre que les vides remplis mettent forcément l’imagination du spectateur au repos et que le drame, s’il reste spectaculaire, y perd de sa force.


Wozzeck est donc volontaire pour un programme d’essai thérapeutique rémunéré qui lui permet de tenir à flot sa famille dans un confort relatif (on ne peut s’empêcher de trouver que l’option d’un enfant d’une dizaine d’années n’est pas vraiment ce que raconte le texte du livret...) et ses tortionnaires ne sont plus seulement les autorités « morales » de la caserne mais bien une société perverse avec en plus de la médecine et de l’autorité militaire, un prêtre et un ministre ajoutés à l’action et un robot matérialisé par une lampe mobile géante au plafond qui éclaire, surveille espionne Wozzeck et sa cellule familiale. Le Tambour‑major joue un rôle majeur dans cet espionnage et, au passage, séduit Marie.


La crédibilité de l’ensemble repose beaucoup sur son interprète principal, Stéphane Degout. Si on peut se demander si la vocalité allemande – pas la diction, qui est impeccable – correspond toujours bien à son type de voix, il interprète le déséquilibre psychique de Wozzeck à merveille, fait évoluer le personnage de façon hallucinante depuis son entrée en scène quand il est choisi comme cobaye jusqu’au meurtre de Marie et à son suicide. Ambur Braid, qui chantait la saison dernière la Teinturière de La Femme sans ombre de Strauss, s’engouffre avec un peu trop d’enthousiasme dans la facilité qu’ouvre la porte du Sprechgesang. Son chant est forcé et elle ne réserve même pas quelques instants de lyrisme pur à la scène de la lecture de la Bible, qui est un cadeau pour toute soprano dramatique. Si le Docteur de Thomas Faulkner suit la même tendance dans sa ligne de chant, le reste de la distribution est parfait avec un Capitaine (Thomas Ebenstein) d’une grande précision, l’Andrès de Robert Lewis, très lyrique, donnant beaucoup de relief au rôle d’accompagnateur de Wozzeck que la mise en scène lui prête. Excellent Tambour‑major de Robert Watson, sans les excès expressionnistes inévitablement habituels. Beaucoup d’artistes du Lyon Opéra Studio et même des chœurs complètent idéalement cette distribution.


Le directeur musical maison, Daniele Rustioni, a avec Berg la main moins heureuse qu’avec Richard Strauss la saison dernière. Sa direction brusque beaucoup l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, privant l’ensemble des nombreux contrastes dont fourmille la partition.



Olivier Brunel

 

 

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