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La mariée était trop belle

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
10/05/2024 -  et 27, 28, 29 septembre (Wien), 1er (Madrid), 2 (Zaragoza), 3 (Barcelona), 6 (Saarbrücken) octobre 2024
Igor Stravinski : Apollon musagète
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 10 en mi mineur, opus 93

Wiener Philharmoniker, Daniele Gatti (direction)


D. Gatti (© Marco Borggreve)


Daniele Gatti a dirigé pour la première fois l’Orchestre philharmonique de Vienne en février 2005 dans un programme éclectique, plutôt orienté sur l’opéra (Verdi, Prokofiev, Berg et Wagner). Depuis lors, il l’a dirigé à de très nombreuses reprises mais pas depuis le mois de mars 2015, sachant, au surplus, que l’ancien directeur musical de l’Orchestre national de France ne l’avait encore jamais conduit à Paris. C’est donc chose faite avec ce concert donné dans le cadre d’une petite tournée européenne, les Wiener Philharmoniker ayant prévu de revenir avenue Montaigne le 17 janvier 2025 sous la baguette du vétéran Zubin Mehta. Si l’on ne sait évidemment pas ce que donnera ce prochain concert, force est de constater que celui de ce soir ne nous laissera guère de souvenirs.


Le Philharmonique de Vienne n’avait pas joué le ballet Apollon musagète depuis le mois de mai 2007, sous la baguette d’un certain... Daniele Gatti. Composé entre l’été 1927 et le début de l’année 1928, ce ballet n’est pas la seule œuvre d’Igor Stravinski (1882‑1971) à s’être inspirée de la Grèce antique : que l’on songe à Œdipus Rex (1927), à Perséphone (1934) ou au plus tardif ballet Orpheus (1948). Créé dans une chorégraphie de Balanchine, ce ballet évoque la naissance d’Apollon puis, en neuf séquences, diverses danses effectuées par Apollon et trois muses, Calliope, Polymnie et Terpsichore. Mais, du strict point de vue musical, il se veut surtout un hommage à la musique française du XVIIe siècle, Lully en particulier, d’où le recours à un orchestre uniquement composé de cordes (huit premiers et huit seconds violons, six violoncelles, six altos et quatre contrebasses). Alors, évidemment, Vienne déploie ses plus beaux atours, du magnifique violon solo de la Konzertmeisterin Albena Danailova dans le début du second tableau (« Apollon et les muses ») aux interventions du violoncelliste solo Peter Somodari (« Variation de Calliope ») en passant par des envolées orchestrales d’une plénitude, d’une finesse, d’une justesse absolument merveilleuses. Comment ne pas succomber ? Tout bonnement parce que Daniele Gatti nous semble avoir oublié l’essentiel : Apollon musagète est un ballet, donc l’œuvre doit danser et ne pas se contenter d’être une pure beauté plastique. Dans le « Pas de deux », on n’entend pas ces valses-hésitations si attachantes (réécoutez au disque Chailly avec Amsterdam !), le « Pas d’action » manque de cette légère nonchalance qui lui confère en outre ce côté un brin nostalgique, la « Variation de Polymnie » manque de fraîcheur alors que le Philharmonique de Vienne sait pourtant en instiller, et de quelle manière, dans la moindre valse ou polka d’un membre de la famille Strauss. Daniele Gatti est assurément un grand chef : sa précision diabolique et sa connaissance intime de la partition (qu’il a notamment dirigée en son temps à la tête du National) ne font guère de doute mais cette maîtrise absolue de la partition finit par corseter l’orchestre, lequel doit au contraire pouvoir prendre quelques libertés au lieu de se voir engoncé dans un carcan, aussi luxueux soit‑il.


Qui pourrait croire que la Dixième Symphonie (1953) de Dimitri Chostakovitch n’est entrée au répertoire de l’Orchestre philharmonique de Vienne qu’en mai 2001, sous la direction de Msistlav Rostropovitch ? Pourtant, on pensait naïvement qu’elle faisait partie des symphonies du compositeurs russe qui avaient eu le plus souvent l’honneur d’avoir été jouées par les Viennois mais, depuis 2001, seuls Bernard Haitink en juin 2006 (notamment dans le cadre d’une tournée), Antonio Pappano en juin 2010 et Mariss Jansons en novembre 2015 l’ont dirigée. Autant dire là encore que Daniele Gatti a su faire preuve d’une certaine originalité dans le programme. Las, le chef italien retrouve les mêmes travers qu’en première partie. De nouveau, sa technique ne fait aucun doute : attention donnée à chaque départ, anticipation des césures de la partition, sens de l’équilibre... mais que tout cela est finalement bien lisse ! Un comble dans cette symphonie dont le deuxième mouvement, aux dires du compositeur, se voulait un portrait de Staline (décédé le 5 mars 1953 donc en pleine période de composition et quelques mois avant la création de l’œuvre, sous la direction de Mravinski, le 17 décembre).


Dans le premier mouvement (Moderato), Daniele Gatti empoigne la partition à pleine mains, façonnant un son épais (mais jamais lourd), ô combien prenant, aux couleurs sombres comme il convient ; on est totalement séduit même si la clarinette solo de Gregor Hinterreiter aurait pu faire preuve de davantage de velouté, le français Luc Mangholz et Lukas Schmid s’avérant en revanche parfaits respectivement à la flûte et au basson. Mais, de manière générale, Gatti gomme trop les aspérités de la partition, préférant la cantonner à un hédonisme qui conduit à quelque chose d’assez neutre. Le très attendu Allegro nous laisse également une impression mitigée : si les musiciens (mention spéciale aux bois !) sont incroyables dans leur maîtrise technique de la partition, on ne ressent pas l’ivresse que d’autres chefs (écoutez Karajan en concert à Moscou à la fin du mois de mai 1969 !) savaient y mettre, Gatti réfrénant beaucoup trop les cuivres qui n’éclatent jamais et qu’on a même parfois un peu de mal à percevoir. L’Allegretto est sans doute le passage le plus réussi, Gatti lâchant enfin la bride aux musiciens, qui peuvent s’épanouir pleinement (le cor de Ronald Janezic, le cor anglais de Herbert Maderthaner...) dans un mouvement empli de lyrisme où certaines sonorités rappellent fortement Alexandre Nevski de Prokofiev (décédé d’ailleurs le même jour que Staline). Dans le dernier mouvement, Gatti ménage très bien l’Andante, sorte de calme avant la tempête mais pourquoi ne fonce‑t‑il pas ensuite dans l’Allegro conclusif, qui manque à la fois des sonorités sarcastiques et de la folie que l’on souhaiterait y trouver, la fin de l’œuvre n’explosant pas du tout comme on était en droit de l’attendre ? Dommage...


L’accueil néanmoins plutôt favorable du public (sans être délirant pour autant) lui permit d’entendre en bis une Cinquième Danse hongroise de Brahms au rubato exagéré, que n’aurait sans doute pas renié un Georges Prêtre dernière manière. On oubliera donc bien vite ce dernier morceau qui concluait un concert très moyen : vu l’affiche, on attendait bien autre chose.


Le site de Daniele Gatti
Le site de l’Orchestre philharmonique de Vienne



Sébastien Gauthier

 

 

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