Back
Le baroque réussit à la Scala Milano Teatro alla Scala 09/26/2024 - et 28, 30 septembre, 2*, 5 octobre 2024 Antonio Cesti : L’Orontea Stéphanie d’Oustrac (Orontea), Mirco Palazzi (Creonte), Francesca Pia Vitale (Silandra), Hugh Cutting (Corindo), Luca Tittoto (Gelone), Sara Blanch (Tibrino), Marcela Rahal (Aristea), Carlo Vistoli (Alidoro), Maria Nazarova (Giacinta)
Orcnestra del Teatro alla Scala, Giovanni Antonini (direction musicale)
Robert Carsen (mise en scène, lumières), Gideon Davey (décors, costumes), Peter Van Praet (lumières)
(© Brescia e Amisano/Teatro alla Scala)
La Scala et l’opéra baroque, ça n’a jamais été une grande histoire d’amour. Depuis quelques saisons cependant, sous l’impulsion d’abord d’Alexander Pereira puis aujourd’hui de Dominique Meyer, l’illustre théâtre met bon an mal an un ouvrage à l’affiche. Pour cette fin de saison 2023‑2024, le choix s’est porté sur L’Orontea (1656) d’Antonio Cesti (1623‑1669), une œuvre extrêmement rare, quasiment jamais programmée. A Milan, elle a été proposée pour la première fois en 1666, dix ans après sa création, avant de connaître cinq représentations, en 1961, à la Piccola Scala, avec Teresa Berganza dans le rôle‑titre et Bruno Bartoletti à la baguette. Quoi qu’il en soit, L’Orontea parlera peut-être à certains mélomanes, du fait d’un enregistrement de René Jacobs (1982) ou de certains airs que les chanteurs mettent parfois au programme de leurs récitals. Antonio Cesti n’est pas non plus un illustre inconnu ; d’abord chanteur, il s’est ensuite tourné vers la composition d’opéras. C’est en Autriche, notamment à Vienne et à Innsbruck, où il a été maître de chapelle, que cet Italien a connu ses plus grands succès, parmi lesquels L’Argia.
L’Orontea raconte l’histoire d’une princesse égyptienne qui refuse de se laisser emporter par la passion amoureuse. Chaque fois qu’un parti se présente, elle décline poliment mais fermement. Elle finit cependant par éprouver des sentiments pour Alidoro, un clochard bien fait de sa personne, qui se fait passer pour un peintre. Après bien des péripéties et des quiproquos amoureux, ce dernier réussira à convoler en justes noces avec Orontea, d’autant qu’il se révèlera être prince. Tout est bien qui finit bien donc, comme le veut la règle de l’opéra de l’époque. On l’aura compris, L’Orontea est riche en rebondissements et alterne sérieux et comique. Autour du couple d’amoureux gravite toute une nuée de personnages les uns plus truculents que les autres, notamment un bouffon ivrogne, une femme âgée qui, contrairement à Orontea, n’a pas renoncé à l’amour et en pince pour un jeune homme qui n’est autre qu’une jeune fille travestie, un précepteur qui ne cesse de faire la morale ainsi que des amants volages.
Partant de l’idée que le personnage masculin principal de L’Orontea se fait passer pour un peintre, Robert Carsen a transposé l’action dans une galerie de Milan, à notre époque. Des ouvriers s’affairent à accrocher d’immenses tableaux, en vue d’une grande exposition. Orontea est la propriétaire des lieux ; depuis son bureau, elle a une vue plongeante sur les gratte‑ciel de la cité lombarde. Le spectacle est particulièrement animé, sans aucun temps mort, avec une foule bigarrée de figurants, ruche bourdonnante qui se presse dans la galerie pour le vernissage de l’exposition. L’actualisation est parfaitement réussie, les personnages sont habilement caractérisés et la direction d’acteurs est extrêmement soignée, un succès de plus à mettre à l’actif du célèbre metteur en scène canadien.
La distribution est de très haut vol. Elle est emmenée par le superbe Alidoro de Carlo Vistoli, au timbre homogène et chaud malgré des notes stratosphériques, au phrasé élégant et à la diction impeccable, sans parler de sa forte présence scénique. L’autre contre‑ténor, Hugh Cutting, ne lui est pas en reste, quand bien même le timbre est beaucoup plus clair. L’Orontea altière et ombrageuse de Stéphanie d’Oustrac, à la voix sensuelle et charnue, séduit autant par ses accents langoureux que par ses lamentations lascives. Voix cristalline aux aigus splendides, Francesca Pia Vitale est une Silandra volage et insouciante. Bouffon amateur de vin, Luca Tittoto impressionne par sa verve scénique et son timbre de stentor. Créonte austère dans son costume gris, qui n’a de cesse de raisonner Orontea, Mirco Palazzi offre un chant homogène et racé. A la tête d’un petit ensemble de musiciens de l’Orchestre de la Scala jouant sur instruments d’époque et complété par un clavecin et trois théorbes, Giovanni Antonini propose une lecture dynamique et contrastée de la partition de Cesti, une lecture légère et raffinée, au son brillant, accompagnant les chanteurs avec beaucoup de tact et démontrant une riche palette de couleurs dans les ensembles instrumentaux. Ce spectacle est une réussite sur toute la ligne.
Claudio Poloni
|