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Philharmonie
09/13/2024 -  
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 4 en ut mineur, opus 43
Orchestre de l’Opéra national de Paris, Tugan Sokhiev (direction)


T. Sokhiev (© Marco Borggreve)


Aussi curieux que cela puisse paraître, ce concert symphonique était la première collaboration de l’Orchestre National de l’Opéra de Paris avec Tugan Sokhiev, libéré de ses engagements à Toulouse et au Théâtre du Bolchoï et désormais sans poste fixe. Au programme, la Quatrième Symphonie de Chostakovitch, un compositeur familier du chef russe d’origine ossète, qui est en train de graver pour Warner une intégrale de l’œuvre symphonique avec son ancien ensemble l’Orchestre national du Capitole de Toulouse.


Première des « grandes » symphonies, la quatrième symphonie composée de 1935 à 1936 ne fut créée, scandale de la Lady Macbeth de Mtsensk oblige (1934), qu’en 1961 en pleine période de déstalinisation. Elle est atypique notamment dans sa durée (un peu plus d’une heure), sa forme en trois mouvements (dont le premier et le dernier d’une durée de près d’une demi‑heure) et requiert cent vingt‑huit musiciens. Sa complexité, sa richesse et ses nombreuses ruptures nécessitent des interprètes exceptionnels et engagés. A n’en pas douter cette première collaboration entre Tugan Sokhiev et les musiciens de l’Opéra fut une belle rencontre artistique et humaine. L’Orchestre de l’Opéra national de Paris est apparu en très grande forme, concentré, sans aucune faiblesse et réactif à la direction précise de Tugan Sokhiev. Et quel plaisir d’entendre cet ensemble de niveau international dans la belle acoustique d’une salle Pierre Boulez pleine ce soir.


Le premier mouvement (Allegro poco moderato) commence par un tutti qui happe d’emblée l’auditeur. Alternant tutti fracassants et passages dédiés aux solistes des vents ou des cuivres, il change constamment de climat et de tempo. Le solo de basson y est d’une poésie grave et raffinée bientôt suivi par les deux harpes, le xylophone et le piccolo. Place ensuite à un fascinant fugato des cordes bientôt rejoint par tout l’orchestre dans un climat typique du compositeur russe et dont la mise en place orchestrale est impeccable. La coda donne la part belle au magnifique violon solo de Petteri Livonen et au basson solo. Ce premier mouvement d’une complexité fascinante était ici réalisé, on l’a compris, avec toute la maîtrise et l’intensité qu’il requiert.


Le deuxième mouvement (Moderato con moto) détend l’atmosphère avec son mélange d’ironie et de sarcasme et fait dialoguer les cordes, les bois et les cuivres dans une progression avec des allers et retours des thèmes entre les groupes d’instruments assez typique du compositeur. Tugan Sokhiev, désormais plus détendu, excelle dans ce rôle de distributeur d’intentions et la réactivité des musiciens est immédiate. Place enfin à une fugue qui se termine abruptement au son des castagnettes et du tambour. Effet de surprise garanti !


Le troisième mouvement (Largo - Allegro), sans doute le plus mahlérien, alterne des passages solistes confiés au basson puis aux vents du plus bel effet avec des tutti orchestraux typiques du compositeur. L’Allegro est d’une mise en place parfaite sous la direction précise, efficace et lisible de Tugan Sokhiev. Les climats changeants sont parfaitement rendus, on entend tout, de la harpe aux pizzicati des contrebasses en passant par le solo de piccolo jusqu’à l’arrivée d’une valse tout en délicatesse qui précède le retour du basson puis de l’ensemble de l’orchestre déchaîné dans un passage cuivré haut en couleurs et en contrastes. L’étonnante fin du mouvement, reprenant les thèmes initiaux, tout en confiant l’assise de la musique aux contrebasses (Mahler encore) et aux vents dans le grave puis dans les aigus, est une merveille de réalisation à la fois précise et poétique. La disparition progressive de la musique, que l’on a parfois comparée à de la musique des sphères (sans doute l’effet du célesta à la toute fin de l’œuvre), est un miracle de réalisation qui laisse le public silencieux pendant de longues secondes.


Une évidente osmose entre des musiciens exceptionnels et un Tugan Sokhiev au sommet ont fait de ce concert un moment rare et brillant. Espérons qu’Alexander Neef, le directeur de l’Opéra de Paris désormais prolongé jusqu’en 2032, sollicite à nouveau le chef russe. Impossible en sortant de ce grand moment de ne pas imaginer un Boris Godounov (que Sokhiev dirige magnifiquement), une Khovanchtchina ou une Lady Macbeth qui seraient certainement bien servis par ce chef hors du commun. Et n’oublions pas que le poste de directeur musical de l’Opéra est vacant...



Gilles Lesur

 

 

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