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Une Tétralogie coupée en deux

Bruxelles
La Monnaie
09/11/2024 -  et 15, 18, 22, 25, 28 septembre, 1er , 4 octobre 2024
Richard Wagner : Siegfried
Magnus Vigilius (Siegfried), Peter Hoare (Mime), Gábor Bretz (Der Wanderer), Scott Hendricks (Alberich), Wilhelm Schwinghammer (Fafner), Ingela Brimberg (Brünnhilde), Nora Gubisch (Erda), Liv Redpath (Stimme eines Waldvogels)
Orchestre symphonique de la Monnaie, Alain Altinoglu (direction musicale)
Pierre Audi (mise en scène), Michael Simon (décors), Petra Reinhardt (costumes), Valerio Tiberi (lumières)


(© Monika Rittershaus)


L’annonce fit de l’effet. En avril, lors de la présentation de la saison, la Monnaie a déclaré que Romeo Castellucci ne mettra pas en scène la seconde moitié de L’Anneau du Nibelung, cycle entamé en octobre et en novembre, avec L’Or du Rhin, et poursuivi en janvier et en février, avec La Walkyrie. Les raisons invoquées ? De l’ordre du budget et du planning : impossible de concrétiser les intentions du metteur en scène dans les temps, et compte tenu des moyens et ressources disponibles. L’explication peine à nous convaincre. Il est difficile d’imaginer que la direction d’un théâtre d’une telle importance ne soit pas parvenue à étudier correctement, et suffisamment tôt en amont, la faisabilité technique et financière d’un projet aussi important, et forcément risqué, que la Tétralogie, lequel a été décidé il y a plusieurs années. N’était‑il vraiment pas possible pour Romeo Castellucci de revoir sa conception pour Siegfried et Le Crépuscule des dieux, dans la lignée du prologue et de la première journée, applaudis la saison dernière ?


Pierre Audi, qui a déjà monté une Tétralogie entre 1997 et 1999, a accepté de prendre le relais, malgré les délais assez courts, afin de mettre sur pied un nouveau projet, l’idée étant de concevoir la Tétralogie comme deux diptyques conceptuellement différents, le premier se concentrant sur le monde des dieux, le second sur celui des hommes. Il faut donc tourner la page, et même refermer un chapitre, sans doute même le livre. Cette mise en scène de Siegfried (1876) prend de grandes distances avec celles de Castellucci, tellement l’approche et l’esthétique diffèrent sur plusieurs aspects, bien que la dernière scène du troisième acte se rapproche un peu de ce que le metteur en scène italien aurait pu imaginer, esthétiquement du moins.


Et la comparaison, inévitable, avec ce que nous avons pu voir la saison dernière rend le travail de Castellucci encore plus exceptionnel. Le directeur du Festival d’Aix‑en‑Provence développe moins d’idées, privilégie la transparence, la lisibilité, dans une approche linéaire, simpliste, même, pour ne pas dire naïve, par moments, sans toute la poésie et la puissance des deux premiers volets. Il en résulte une mise en scène, il est vrai, belle, grâce aux admirables éclairages, mais convenue, malgré la qualité de la direction d’acteur, qui témoigne d’une compréhension juste et fine de l’enjeu et des situations. Nous n’avons toutefois pas été profondément captivé par cette proposition, contrairement à la saison passée. Si la mise en scène du Crépuscule des dieux, en janvier et en février, s’inscrit dans la même optique, et nul doute que ce sera le cas, bien que ce spectacle bénéficie d’un temps de réflexion un peu plus long, ce double diptyque nous paraîtra irrémédiablement bancal.


Pierre Audi livre, avec ses collaborateurs, une scénographie plutôt abstraite, intemporelle, dans un assez beau dispositif, dominé par une énorme boule de métal ayant un aspect chiffonné. Quelques idées notables, tout de même : Fafner, qui ressemble à une momie recouverte de plumes blanches, meurt tel un simple et misérable humain, et un enfant endosse le costume d’un – assez mignon – oiseau de la forêt, dans un second acte de nature initiatique qui fait même penser, à un moment, à La Flûte enchantée. L’enfance constitue un motif conducteur, dès la vidéo préliminaire, cette mise en scène ne se privant pas, elle non plus, recourir à cette technologie tant de fois employée à l’opéra : des enfants, manifestement dans le cadre d’une activité pédagogique, dessinent leur propre interprétation du mythe de Siegfried, des images sur lesquelles se referment le spectacle. Il s’agit bien, en effet, d’un récit d’apprentissage. Pierre Audi considère même Siegfried comme, pour reprendre ses termes, un conte de fées. Romeo Castellucci n’y aurait probablement pas songé, et sans doute pas davantage à cette grosse peluche ou à cette petite cuisine pour enfant dans le premier acte.


L’exécution musicale, en revanche, répond largement aux attentes : le chef reste heureusement le même, tandis que les chanteurs qui figuraient à l’affiche des deux premiers opéras reprennent leur rôle dans cette deuxième journée. Magnus Vigilius rassure rapidement quant à sa capacité à incarner le redoutable rôle‑titre. Le ténor réussit la transformation psychologique du personnage à travers les trois actes, du jeune homme impétueux et quelque peu déplaisant au héros vulnérable et amoureux, face à Brünnhilde, une dimension que la mise en scène respecte bien. Il possède à la fois la tessiture requise, mais aussi, de par sa présence et par son chant, aussi ferme que clair et nuancé, la stature d’un vrai ténor héroïque.


Peter Hoare ne déçoit pas non plus en Mime, bien au contraire, lui qui s’était montré remarquable et prometteur dans L’Or du Rhin. Le duo qu’il forme avec Magnus Vigilius fonctionne parfaitement, de même que la confrontation du nain avec le Voyageur, incarné par Gábor Bretz, Wotan dans les deux premiers volets. Ce baryton-basse à la voix relativement peu puissante possède des graves limités mais le chant demeure nuancé et expressif, toujours juste, avec d’incontestables qualités de phrasé et d’éloquence, une fois de plus mises au service d’une incarnation d’une finesse et d’une justesse assez admirables. Ce Voyageur, dans cette mise en scène, n’a vraiment plus rien d’un dieu : il s’agit d’un être humain vil, capable de sournoiserie et de bassesse. Est‑ce pour cette raison qu’il paraît vêtu comme Alberich ? Scott Hendricks reprend ce personnage qui a toutefois laissé une empreinte plus forte dans L’Or du Rhin. A moins que cette impression soit trompeuse, le baryton semble un peu moins inspiré, mais sa prestation n’amoindrit aucunement l’intérêt de cette distribution décidément bien étudiée.


Wilhelm Schwinghammer retrouve aussi le personnage de Fafner. Nous aurions préféré que ce rôle soit distribué à Ante Jerkunica, formidable en Fasolt dans L’Or du Rhin, mais le profil vocal du chanteur allemand correspond bien à l’image que le géant laisse dans cette mise en scène, un être faible et misérable, à l’article de la mort. Sans surprise, Nora Gubisch se montre égale à elle‑même en Erda. L’Oiseau de la forêt attire, quant à lui, un peu plus l’attention : la voix fraîche et colorée de Liv Redpath convient à merveille pour ce rôle. Enfin, Ingela Brimberg, voix solide et infaillible, belle et nuancée, incarne de nouveau Brünnhilde. Le duo final, malgré la beauté de cette dernière scène, dans laquelle le blanc domine, ce qui permet de produire des effets semblables à des ombres chinoises, manque toutefois d’intensité, non pas vocale, mais physique.


Inutile de s’attarder une troisième fois sur la prestation absolument splendide de l’orchestre, sous la direction, constamment inspirée, d’Alain Altinoglu, en permanence attentif à la beauté de la sonorité, à la précision du jeu, à la continuité de la narration. Et si le véritable metteur en scène de ce spectacle n’était autre que le directeur musical, fortement acclamé, à juste titre, lors des saluts, au contraire de la nouvelle équipe remplaçant celle de Romeo Castellucci, laquelle a reçu, à l’issue de la première, un accueil ni plus ni moins que poli ? Compte tenu des circonstances, le contrat est correctement rempli.


Le site de la Monnaie



Sébastien Foucart

 

 

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