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Quand les réputations surgonflées font pschitt

Salzburg
Grosses Festspielhaus
08/13/2024 -  et 16, 21, 24*, 27, 30 août 2024
Jacques Offenbach : Les Contes d’Hoffmann
Benjamin Bernheim (Hoffmann), Kathryn Lewek (Stella, Olympia, Antonia, Giulietta), Christian Van Horn (Lindorf, Coppélius, Dr. Miracle, Dapertutto), Kate Lindsey (La Muse, Nicklausse), Marc Mauillon (Andrès, Cochenille, Frantz, Pitichinaccio), Géraldine Chauvet (Voix de la mère), Michael Laurenz (Spalanzani), Jérôme Varnier (Crespel, Maître Luther), Philippe-Nicolas Martin (Hermann, Schlémil)
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, Alan Woddbridge (chef de chœur), Wiener Philharmoniker, Marc Minkowski (direction musicale)
Mariame Clément (mise en scène), Julia Hansen (décor, costumes), Paule Constable (lumières), Etienne Guiol, Wilfrid Haberay (vidéo), Gail Skrela (chorégraphie), Christian Arseni (dramaturgie)


(© Salzburger Festspiele/Monika Rittershaus)


Je me souviens de l’intendant Nikolaus Bachler, alors fraîchement nommé à Munich, me recevant dans son bureau en 2008, au Nationaltheater, et me parlant avec un certain détachement de ses problèmes de choix de metteur en scène. « Quand il s’agit de confier un opéra à quelqu’un, on peut avoir de bonnes idées, de bonnes intuitions, mais le résultat final n’est jamais garanti. Le tout c’est de savoir s’accommoder de cette part de gambling. On peut gagner, mais on peut aussi tout perdre... Or cette notion d’échec est devenue presque un tabou dans nos sociétés modernes, autant que le vieillissement. Parfois, une représentation ratée nous en apprend plus qu’un travail impeccable. »


Ces propos, en particulier du fait de ce terme de gambling, d’un fatalisme qui, à l’époque, m’avait laissé songeur, me sont revenus en mémoire, suite à l’édifiant concours de circonstances survenu cet été à Salzbourg. Alors même que Markus Hinterhäuser joue gagnant, en programmant Le Joueur de Prokofiev (The Gambler, pour nos voisins anglais), une autre de ses productions échoue sur toute la ligne, au point même d’apparaître de loin comme la plus mauvaise d’un mandat qui n’a, cela dit, connu jusqu’ici que très peu d’échecs véritables.


Au moment de distribuer ces nouveaux Contes d’Hoffmann, certaines garanties paraissaient cependant solides. Avec une cinquantaine de mises en scène à son actif, notre compatriote Mariame Clément n’est plus une débutante, l’une de ses productions d’opéras bouffe d’Offenbach, celle de Barkouf, à l’Opéra national du Rhin, en  2018, ayant même obtenu une certaine résonance internationale, cela dit, plutôt en raison du caractère inédit de l’ouvrage (un « Oper! Awards » décerné en 2019 dans la catégorie « Meilleure redécouverte de l’année »). De même, faire appel à Marc Minkowski, dont la réputation de spécialiste d’Offenbach a dépassé nos frontières, semblait de bon aloi. Et en rajoutant Benjamin Bernheim sur l’affiche, pour le rôle‑titre, voilà qui paraissait cumuler quelques atouts décisifs, pour une production plutôt grand public et ludique.


Et pourtant, une fois ce nouveau projet Offenbach lancé, il s’est finalement effondré comme un château de cartes. Un échec largement rapporté par les premiers échos et critiques de la première, tellement négatifs qu’on peinait d’ailleurs à les croire. Mais malheureusement, à mesure que s’écoule cette quatrième représentation, il faut bien se rendre à l’évidence : on assiste effectivement, à ce qui ressemble à un désastre !


Dans un entretien publié dans le numéro de juillet-août 2024 d’Opéra Magazine, Mariame Clément déclarait : « Pour le personnage d’Hoffmann, je voulais un va‑et‑vient constant entre l’artiste en train de créer et son œuvre – ce qui implique un travail extrêmement précis de détricotage du texte, phrase par phrase. Pour cela, il fallait une forme artistique impliquant d’autres personnes. [...] Je n’avais donc pas cinquante solutions ! Théâtre, opéra, cinéma... Je n’avais pas très envie des deux premiers. Il restait donc le troisième. Même si j’ai freiné des quatre fers, parce que j’ai l’impression qu’on l’a déjà vu quarante fois ! Mais plus je freinais, plus l’idée s’imposait à moi. Alors, au bout d’un moment, j’ai cédé. »


Fatal engrenage ! Situer l’action sur un plateau de tournage, non seulement est un poncif (rien qu’à titre personnel, déjà la quatrième production de cet ordre vue en moins d’un an : Falstaff à Salzbourg, Polifemo à Strasbourg, Tosca à Munich, et à présent ces Contes d’Hoffmann), mais le stratagème ne fonctionne jamais bien. La reconstitution de l’appareil technique d’un studio de cinéma (claps, travellings, cameramen, preneur de son, perchman, éclairagistes, accessoiristes...) et de tout le grouillement humain qui s’agglomère autour (assistants, script‑girls, producteurs, starlettes court vêtues, livreurs de sandwich, fumeurs de joints en coulisse...) mobilise beaucoup de temps et d’énergie, prend forcément à chaque fois des airs de déjà‑vu, et surtout distrait de l’action véritable, beaucoup trop de détails venant parasiter une narration dont on ne peut que se désintéresser plus ou moins vite. Ici, le Prologue et l’Epilogue se déroulent dans la cantine du studio, ce qui sert de prétexte, pour le chœur, à des costumes hétéroclites de figurants en pause, qui vont du centurion romain au cow‑boy, et, pour le reste, au moins pendant deux des trois actes, on filme. L’acte d’Olympia, où on voit Hoffmann, cheveux longs et jeans pattes d’eph’, tourner un navet typiquement seventies, et celui d’Antonia, où il est question d’un film fantastique à plus gros budget (ce pourrait être, vu l’ambiance, une Chute de la Maison Usher). Quant à l’acte de Giulietta, qui se veut plus onirique, tout s’y mélange, au point de rendre illisible un propos déjà très confus auparavant.


Raté aussi, le dispositif scénique signé par Julie Hanssen, collaboratrice invariable de Mariame Clément. Tout y est sinistre, tantôt étriqué (une terrible propension à tasser les groupes dans des espaces trop restreints, aux point qu’ils se marchent sur les pieds, alors qu’ici la scène est d’une largeur démesurée), tantôt inutilement surdimensionné (un énorme mur transversal à l’arrière, sans aucun intérêt, si ce n’est d’obturer le fond de scène, y compris même quand, enfin, il se retourne, et ne dévoile alors que de tristes poutres de bois). Etait‑il vraiment impossible de trouver le moindre support visuel poétique au moment de la célèbre Barcarolle ? A ce moment‑là, absolument rien de nouveau à voir, alors qu’il s’agit d’un passage où on pourrait quand même avoir envie de se faire un peu plaisir. Un comble, quand on dispose d’autant d’espace et de moyens.


Quant aux costumes, même en prenant en considération l’alibi d’une bonne dose d’humour potache, ils sont peu seyants, voire atroces. Ah le pauvre Hoffmann, gêné par son blouson de daim élastique qui remonte, et sur lequel il n’arrête pas de tirer pour le faire redescendre sur son jean (un geste quasi automatique de Benjamin Bernheim, vu au moins vingt fois au cours de cette soirée) ! Et, surtout, pauvre Kathryn Lewek, affublée d’une série de tenues et de perruques hideuses, le pompon étant décroché par son Olympia, travestie en sosie de Barbarella ! Oui, Barbarella, reproduite trait pour trait, y compris son soutien‑gorge bourré d’explosifs : une héroïne de BD de science‑fiction dont les aventures ont été portées à l’écran par Roger Vadim en 1968. En l’occurrence la mise en boîte pourrait être plutôt drôle, au tuant problème près que la malheureuse Kathryn Lewek n’a pas du tout le physique longiligne de Jane Fonda, Wonder Woman du film, et qu’un tel costume la ridiculise bien au‑delà de l’admissible.



(© Salzburger Festspiele/Monika Rittershaus)


En fosse non plus, rien ne fonctionne. Les Wiener Philharmoniker semblent se désintéresser ouvertement de la gestique simpliste de Marc Minkowski, et optent pour un service minimum. La musique d’Offenbach en sort amaigrie, schématisée, tristement desservie, y compris même techniquement, avec de multiples décalages, orchestre et chœurs ne semblant vraiment se rejoindre qu’à la fin des phrases, quand tout à coup le chef hausse une main plus haut, comme un point de ralliement épisodique. Pourquoi l’un des meilleurs orchestres mondiaux sonne‑t‑il tout à coup aussi mal, a fortiori alors qu’il est réputé pour ses interprétations légendaires, chaque Nouvel An, des musiques de la famille Strauss, muse légère dont Offenbach n’est quand même pas si éloigné ? Mystère ! Certains confrères journalistes allemands ont évoqué, sans en dire plus, de lourds désaccords entre l’orchestre et son chef. Peut‑être, mais ce qui n’autorise en rien ce genre de sabotage. D’autres ont déploré qu’on n’ait pas plutôt invité en ce cas Les Musiciens du Louvre, présumés plus adéquats. Ce qui n’aurait probablement pas été une panacée, du moins si on se réfère à un souvenir, plus ancien, de Contes d’Hoffmann en version de concert, en 2018 à Baden‑Baden, où cette fois Minkowski dirigeait effectivement Les Musiciens du Louvre. Le résultat n’y était pas davantage probant, voire les problèmes étaient globalement les mêmes.


Que nous reste-t-il à se mettre dans l’oreille ? Les bonnes prestations de Kathryn Lewek, Christian Van Horn et Kate Lindsey, trois très belles voix, dotées chacune d’une forte présence, mais nettement handicapées, à la fois par une prononciation trop fruste de notre langue, et par un soutien orchestral qui ne les valorise pas. Et puis, bien sûr, Benjamin Bernheim, quant à lui d’un style toujours impeccable, mais qui paraît ce soir en méforme, avec un timbre émacié, manquant de projection. Comme si cette mise en scène continuellement turbulente le sollicitait physiquement au‑delà de ses possibilités, avec l’obligation de se réserver, la voix ne consentant à remplir le grand vaisseau du Grosses Festspielhaus qu’au cours des toutes dernières répliques, où on retrouve enfin le Bernheim habituel. Quelques autres belles démonstrations de style français aussi, quand l’un ou l’autre comparse s’avère être un compatriote, au cours de cette exécution archi-complète des Contes d’Hoffmann (version Michael Kaye enrichie par Jean‑Christophe Keck), donnée heureusement avec récitatifs, et non entrecoupée de dialogues parlés, qui n’auraient certainement pas réussi à tout le monde.


Succès tout juste poli lors des rappels. L’auditoire des soirées grand public du Grosses Festspielhaus est peut‑être plus mondain que les autres, mais il ne s’en laisse quand même pas conter !



Laurent Barthel

 

 

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