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Bruckner à hauteur d’homme

Berlin
Philharmonie
08/23/2024 -  et 25 (Salzburg), 28 (Luzern) août, 1er (London), 12, 13, 14 (Berlin) septembre, 12 (Frankfurt), 18 (New York), 20 (Boston), 24 (Ann Arbor), 26 (Chicago) novembre 2024
Anton Bruckner : Symphonie n° 5 en si bémol majeur
Berliner Philharmoniker, Kirill Petrenko (direction)


K. Petrenko (© Stephan Rabold)


Le premier concert de la saison de l’Orchestre philharmonique de Berlin est inévitablement un grand moment (tout autant mondain que musical d’ailleurs), et pas seulement pour la capitale allemande (les articles de journaux annonçant ce moment-phare étant toujours fort nombreux, témoignant une nouvelle fois de la place de la musique classique dans ce pays). Début pour l’orchestre de sa tournée des grands festivals estivaux, il précède toujours d’un jour ou deux la Musikfest (qui se déroulera cette année du 24 août au 19 septembre) avant que la saison proprement dite ne puisse se dérouler avec, jusqu’au mois de décembre, la fin du cycle de l’intégrale des symphonies d’Anton Bruckner (1824‑1896), dont on célèbre cette année le bicentenaire de la naissance (voir
ici). Durant ce cycle qui voit se succéder le gratin des baguettes mondiales, Kirill Petrenko, directeur musical en titre de l’orchestre, ne s’est réservé qu’une seule symphonie mais pas la moindre : la Cinquième.


Lorsqu’on regarde les programmations données ces dernières années par le Philharmonique de Berlin, on constate combien Anton Bruckner y figure évidemment très régulièrement. Réputée comme étant peut-être la plus difficile d’accès, la monumentale Cinquième Symphonie a ainsi tout de même été jouée sous les baguettes respectives de Bernard Haitink en mars 2011, de Daniel Harding en septembre 2018 et, assez récemment, sous celle de Herbert Blomstedt en octobre 2021. Quant à Kirill Petrenko, qui n’est tout de même pas réputé pour être un brucknérien patenté, il ne s’est essayé à la Cinquième Symphonie que très récemment (le 3 juin dernier en l’occurrence), à la tête de l’Orchestre des jeunes Gustav Mahler, ouvrant à la fois la saison estivale de l’Académie Sainte-Cécile à Rome (qui s’est étendue du 3 juin au 25 juillet) et une tournée italo-espagnole de l’orchestre qui, au vu des comptes rendus lus ici ou là, s’est avérée triomphale. Autant dire qu’il avait eu l’occasion de bien fourbir ses armes en prévision du présent concert.


Après une entrée rapide sur scène et un bref salut à l’attention du public, Kirill Petrenko attendit que la silence complet se fasse dans la Philharmonie pour lancer les pizzicati débutant le premier mouvement de la symphonie. Dès l’entrée en lice des huit contrebasses et des violoncelles, le Philharmonique de Berlin s’affirme comme étant dans un de ces soirs qu’on n’oublie pas : netteté du trait, respiration ample, mise en valeur du moindre détail... Les premiers tutti déchirent la salle en un véritable cataclysme, Kirill Petrenko jouant à fond sur les contrastes qu’offre ce qui est, à notre sens, la symphonie la plus déroutante de Bruckner. La précision diabolique de leur directeur musical semble parfois un rien brider les musiciens de l’orchestre mais le résultat est magnifique, la clarté de la fin du mouvement l’emportant très nettement sur la grandiloquence de mauvais aloi que certains continuent d’y mettre. L’Adagio, dans lequel Paul-Gilbert Langevin aimait voir l’« essence même de la contemplation brucknérienne » (Bruckner, L’Age d’homme, 1977, p. 152), fut un très grand moment. Les entrées du hautbois solo (irréprochable Jonathan Kelly) puis du basson recélaient presque des couleurs mendelssohniennes, propres à illustrer par leur simplicité et leur caractère dépouillé la petitesse de l’Homme face à Dieu avant que l’ampleur des cordes (ah ! les cordes berlinoises quand elles sont, comme ce soir, au meilleur d’elles‑mêmes !) n’emporte l’auditeur dans une cathédrale sonore où brillèrent également de rutilants ensembles de cuivres (quatre cors, trois trompettes, trois trombones et un tuba). Le sens de la progression de Petrenko fit merveille, la gestique du chef veillant à ne jamais relâcher la tension qui, pourtant, tombe avec la conclusion du mouvement, enfin apaisée.


Typique de Bruckner, le Scherzo - Trio fut mené tambour battant, le Trio s’étant presque révélé trop élégant, sa « joie rustique » (Langevin) faisant plutôt place ce soir à une atmosphère de valse viennoise ce qui, finalement, s’avéra tout à fait cohérent tant avec l’ensemble du mouvement qu’avec les racines autrichiennes de Bruckner. Le Finale est une montagne en soi qu’on ne peut gravir que si le premier de cordée sait où il va et est capable de nous entraîner avec lui ; plusieurs s’y sont fourvoyé mais Kirill Petrenko fut un guide émérite sur ce sommet symphonique. Après un rappel des deux premiers mouvements (pizzicati et solo du hautbois), Bruckner y développe divers motifs qui culminent dans une double fugue monstrueuse où le foisonnement des idées est souvent de nature à nous en faire perdre le fil. Le Philharmonique de Berlin y fut grandiose grâce notamment aux interventions millimétrées des solistes (Emmanuel Pahud à la flûte ou Wenzel Fuchs à la clarinette), aux échanges entre les divers pupitres de cordes et aux martellements des timbales tenues ce soir par Vincent Vogel. Là encore, y compris dans la péroraison conclusive, Petrenko détaille la partition dans ses moindres recoins mais n’en oublie pas pour autant le grand arc qui, bien que soumis à de rudes méandres et interrogations musicales, fut parfaitement tendu de la première à la dernière note.


Concert triomphal donc qui permit au timide directeur musical de fendre l’armure à deux reprises avec la très chaleureuse accolade donnée à Daishin Kashimoto, Konzertmeister du soir lors d’un des saluts, et le large sourire qu’il arbora en revenant seul sur scène, acclamé par un très grand nombre de spectateurs de la Philharmonie restés pour l’applaudir. Un Bruckner assez éloigné des versions que l’on peut avoir en tête donc, puisque dégraissé et sans doute plus humain que véritablement mystique, mais auquel il était difficile de ne pas succomber.


Le site de l’Orchestre philharmonique de Berlin



Sébastien Gauthier

 

 

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