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Du chœur au chœur !

San Sebastian
Auditorium Kursaal
08/23/2024 -  
Ludwig van Beethoven : Missa solemnis en ré majeur, opus 123
Chen Reiss (soprano), Victoria Karkacheva (mezzo), Maximilian Schmitt (ténor), Hanno Müller-Brachmann (basse)
Orfeón Donostiarra, José Antonio Saínz Alfaro (chef de chœur), Euskadiko Orkestra, Jérémie Rhorer (direction)




La Quincena Musical, le plus ancien festival espagnol, fête cette année sa quatre‑vingt‑cinquième édition. Chaque année depuis 1939, il accueille pendant le mois d’août une programmation variée, déclinée en différents lieux, mais surtout au Kursaal, grand et magnifique auditorium (1999) imaginé par le grand architecte espagnol Rafael Moneo et à l’acoustique réputée. C’est l’occasion pour Patrick Alfaya, le directeur de l’institution depuis 2009, d’inviter les grandes phalanges symphoniques qui constituent le cœur de la programmation. Cette année rien moins que l’Orchestre du Festival de Budapest avec Iván Fischer (fidèles du festival), l’Orchestre de la Scala avec Riccardo Chailly et le Philharmonique de Radio France avec Mikko Franck seront notamment de passage. Mais les formations basques ne sont pas oubliées comme ce soir pour une Missa solemnis programmée avec l’Orchestre national d’Euskadi (dont le chef titulaire est depuis 2017 Robert Trevino) et l’Orfeón Donostiarra, chœur amateur à vocation symphonique de réputation internationale fondé en 1897, pilier de la Quincena Musical depuis sa fondation et dirigé depuis 1987 par José Antonio Saínz Alfaro. Une Missa solemnis étonnamment absente de la programmation de ce festival depuis vingt ans – c’était alors sous la direction du regretté Jesús López Cobos.


« Ecrite avec le cœur puisse-t-elle retourner au cœur » disait Beethoven à propos de cette composition tardive écrite par un homme très sourd. La Missa solemnis, œuvre phare puissante, contrastée, longue, ardue pour le chef, les solistes et surtout le chœur, très sollicité, ne livre pas ses clés aisément. On se souvient que Daniel Barenboim a longtemps refusé de s’attaquer à ce qu’il considérait comme un monument. Mais elle a toujours attiré les grands maestros, outre Daniel Barenboïm à partir de 45 ans, Karajan, Klemperer, Giulini, Solti, Sawallisch, Haitink, Bernstein, Jochum, Böhm, et plus récemment dans une optique « allégée » Herreweghe, Harnoncourt, Gardiner ou Jacobs.



J. Rhorer (© Caroline Doutre)


Ce n’est pas un secret que le chef français Jérémie Rhorer, ce soir au pupitre, appartient à la seconde catégorie. De plus, il revendique largement d’être un « expert » de l’œuvre, qu’il dirige de fait assez régulièrement. Alors il y a certes de beaux moments, le début et la fin du Gloria, la majeure partie du Credo, le début du Sanctus et la fin de l’Agnus Dei. Cela ne suffit pas pour une œuvre monde comme l’est la Missa solemnis. Surtout, on retrouve dans sa direction les défauts assez prégnants chez les chefs de cette tradition, une gestique souvent opaque, une direction par à‑coups (des déchaînements disproportionnés alternant avec d’étonnantes baisses de tension), une timbale omniprésente trop en avant, et une exagération des tempi avec, soit des accélérations mettant en danger les interprètes, soit d’étonnants ralentis frisant avec l’alanguissement tel ce point d’orgue sans fin dans le Sanctus. Difficile dans ces conditions de construire une ligne, une tension interne, en somme la progression que requiert cette musique. On regrette particulièrement trois moments qui ne nous ont pas semblé fonctionner : le fascinant Präludium qui précède le magnifique solo de violon du Sanctus, une musique dense, d’une modernité qui annonce Bruckner, voire Schönberg, qui tombe à plat sans ligne ni tension. Idem pour le génial Presto de l’Agnus Dei juste avant l’entrée des fanfares de trompettes (qui fait tant penser au fugato du dernier mouvement de la Neuvième Symphonie) où les cordes se perdent un moment ainsi que le « Et resurrexit » lancé par des ténors pourtant aguerris mais décontenancés par un tempo inadapté.


En revanche, rien à dire en ce qui concerne le quatuor de solistes, bien équilibré, sans point faible et d’une belle présence. Le soprano lumineux de Chen Reiss est superbe, la mezzo russe Victoria Karkacheva, au timbre charnu, a une belle projection, le ténor Maximilian Schmitt chante chaque note avec passion et élégance et la basse Hanno Müller-Brachmann est constamment convaincant, notamment dans le redoutable début de l’Agnus Dei. Dommage que par moments (ils étaient sans doute trop loin, placés juste devant le chœur) l’orchestre les couvre. Un Orchestre national d’Euskadi qui est apparu en forme et bien discipliné, au jeu enthousiaste faisant toujours de son mieux pour adhérer aux propositions du chef. Et avec un magnifique premier violon (dont le nom ne figure étonnamment pas dans le programme) qui donne toute l’émotion requise à son intervention soliste si poétique du Sanctus.


Mais gardons le meilleur pour la fin. L’Orfeón Donostiarra fut sans aucun doute le héros de la soirée et à l’applaudimètre aucun doute possible, le public était conquis. Il faut dire que ces cent quatorze chanteurs ont fait preuve d’engagement, d’une vraie combativité et adaptabilité à une direction à risques. L’échelle des nuances, du plus impalpable pianissimo (« Et incarnatus est ») à des fortissimi soutenus et puissants, est impressionnante. Difficile de dire ce que l’on a préféré entre les voix aiguës lumineuses puissantes et riches (magnifiques et rayonnants pupitres de ténors comme toujours dans ce chœur) et les voix graves toujours lisibles et en soutien harmonique. Malgré l’extrême difficulté de la partition (un peu comme une « Ode à la joie » qui durerait 90 minutes...), à aucun moment il n’y eu ni faiblesse, ni baisse de tension dans l’interprétation, aucune note égarée et le son général et par pupitres est toujours resté noble : en un mot une interprétation chorale de très grande classe. Chapeau à José Antonio Saínz Alfaro, patron de cet ensemble unique de niveau international depuis plus de trois décennies et qui est un véritable magicien.


Ce concert a donc sans aucun doute été avant tout marqué par un chœur véritablement phénoménal. Et comme la Missa solemnis est d’abord une œuvre pour chœur, cela tombe finalement très bien. Beethoven, qui voulait une musique qui vient du cœur pour aller au cœur, a eu droit ce soir à une musique qui allait du chœur au chœur. Sans doute aurait‑il aimé.


Le site de la Quincena Musical



Gilles Lesur

 

 

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