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Parcours intense et captivant

La Roque
Parc du château de Florans
08/19/2024 -  et 27 août 2024 (Sare)
Franz Schubert : Sonates pour piano en la majeur, D. 959, et en si bémol majeur, D. 960
Jonathan Biss (piano)


J. Biss (© Valentine Chauvin)


Après le récital en fin d’après‑midi de Juliette Journaux, occupé pour l’essentiel par des transcriptions de lieder, c’est à l’écoute d’un Schubert bien différent qu’invite le récital du soir, consacré aux deux dernières sonates pour piano, œuvres des plus complexes et intimidantes, mais devenues familières des scènes d’aujourd’hui. Totalement ignorées par un musicien aussi profond que Rachmaninoff il y a cent ans, défendues en solitaire et en relatif incompris par Artur Schnabel, puis en défricheur aventureux par Wilhelm Kempff, les sonates de Schubert (les derniers opus surtout) se sont imposées comme des chefs‑d’œuvre essentiels de la littérature pour piano depuis une cinquantaine d’années. Elles ont été et sont encore jouées et enregistrées par tous les grands pianistes, d’Arrau, Serkin et Richter à Arcadi Volodos ou Leif Ove Andsnes, en passant par Paul Badura‑Skoda, Alfred Brendel, Maurizio Pollini, Vladimir Ashkenazy, Radu Lupu, Christian Zacharias et bien d’autres, dans une diversité d’approches qui rend justice à la richesse et à la profondeur de ces pages.


C’est donc à deux monuments du répertoire et en se confrontant à toutes ces versions illustres d’hier et d’aujourd’hui que s’attaque Jonathan Biss en cette avant‑dernière soirée du festival de La Roque‑d’Anthéron. Parmi toutes les références du passé, que ne doit pas manquer de connaître un musicien aussi cultivé, c’est le modèle de Rudolf Serkin, interprète d’élection de ces deux sonates, qui s’impose à l’auditeur dès les premières notes du concert ou presque. Pas seulement parce que Jonathan Biss a, comme son glorieux prédécesseur, l’allure d’un intellectuel du piano, ni parce qu’il assure depuis quelques années la codirection du Festival de musique de Marlboro, fondé en 1951 par Serkin et Adolf Busch (et bien que cette filiation ne soit pas anodine). Les raisons en sont plus profondément musicales : comme Serkin, Jonathan Biss sait trouver dans cet ultime Schubert un alliage savant entre rigueur structurelle et abandon mélodique, entre poésie de l’instant et violence suggérée mais savamment contenue, avant qu’elle n’éclate au moment adéquat, comme par exemple, en une angoisse irrépressible, au cœur des tendres plaintes de l’Andantino de la Sonate en la majeur, ou, sur un mode plus ardent et affirmatif, dans le final de la Sonate en si bémol majeur.


Le récital commence pourtant de manière un peu fébrile, les phrases d’ouverture de la Sonate D. 959 étant jouées quasi staccato et précipitées, signe d’un engagement total et immédiat, mais aussi d’une certaine nervosité de la part du pianiste. Cependant, le jeu se pose et s’épanouit à mesure que cet Allegro grandiose se développe, les quelques menus accrocs digitaux du début disparaissent, et l’on se laisse bientôt prendre par la douceur de la sonorité dans les nuances mezzo et piano, par la structuration soigneuse des volumes, par la conduite des longues lignes mélodiques du mouvement. Si les passages méditatifs semblent détachés du temps, et en dépit d’une conclusion idéalement évanescente, l’ensemble est cependant conduit avec une poigne ferme et un tempérament sanguin proche de l’affirmation beethovénienne. Le chant très sobre du début de l’Andantino, accompagné par le balancement hypnotique de la main gauche, ménage à la perfection l’effet de surprise du fameux crescendo convulsif évoqué ci‑dessus ; celui‑ci est mené inexorablement, mais sans surjeu, avant que la mélodie plaintive ne fasse son retour sur un plan supérieur, où le souvenir de la crise rôde encore, très bien suggéré par un jeu tout en nuances. Après un silence impressionnant, le Scherzo fait entendre ses roulements et jaillissements mélodiques, suivi d’un trio d’une grande éloquence. Le final, enfin, est exemplaire de l’art de Jonathan Biss : dans ce mouvement noté Allegretto, comme dans bien d’autres de Schubert, la question du choix du tempo est cruciale, tant il est important pour l’interprète de prendre la mesure du temps schubertien et de trouver une pulsation qui lui soit propre. Biss fait ici le choix d’une allure soutenue mais paisible, sans triomphalisme marqué, qui lui permet de chanter tout au long des lignes sonores, la main gauche révélant des détails et des contrechants de toute beauté.


De même, le mouvement initial de la Sonate D.  960 est pris à un tempo à la fois rapide et calme, dans une respiration des plus naturelles, avec une gestion parfaitement sentie des silences et des redites mélodiques. Sans manquer ni de volume, ni de caractère, le piano s’affranchit de tout caractère percussif pour chanter avec une douce intensité. L’Andante sostenuto va encore plus loin peut‑être, avec des premières notes en apesanteur, qui laissent bientôt le chant surgir des profondeurs du clavier pour prendre tout son souffle. Le retour du premier thème réalise une sorte de tour de force musical, en se faisant plus ténu et subtil qu’en son premier énoncé, mais en gagnant encore en substance. La sonate pourrait s’arrêter là, au bout de deux mouvements, à l’instar de la Symphonie inachevée, mais le bref Scherzo vient apporter une détente qui paraît presque forcée, entre délicatesse et profusion mélodique. Jonathan Biss parvient cependant à relancer l’intérêt de l’écoute avec maestria dans un final vibrant, qui, afin de boucler la boucle, renoue avec l’autorité beethovénienne de la Sonate D. 959.


Au terme d’un parcours aussi intense et captivant, réclamer un bis au pianiste n’apparaît pas comme indispensable, mais Jonathan Biss répond toutefois à la sollicitation du public, avec un le Troisième des Impromptus opus 90, qui prolonge encore quelques instants la magie de cette soirée schubertienne.


Le site de Jonathan Biss



François Anselmini

 

 

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