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Message pacifique

London
Royal Albert Hall
08/17/2024 -  
Benjamin Britten : War Requiem, opus 66
Natalya Romaniw (soprano), Allan Clayton (ténor), Will Liverman (baryton)
BBC Symphony Chorus, Neil Ferris (chef de chœur), London Symphony Chorus, Mariana Rosas (cheffe de chœur), Tiffin Boys’ Choir, James Day (chef de chœur), London Symphony Orchestra, Benjamin Marquise Gilmore (direction de l’orchestre de chambre), Antonio Pappano (direction)


A. Clayton, M. Rosas, N. Ferris, A. Pappano, W. Liverman, (au second plan) N. Romaniw (© BBC/Chris Christodoulou)


De tous les concerts que nous avons entendus aux BBC Proms en cet été 2024, ce War Requiem de Benjamin Britten est celui qui convient mieux aux vastes dimensions et à la configuration du Royal Albert Hall.


Pas l’ombre d’une place libre, ni dans la salle, ni dans l’arena où se massait le public debout, pour écouter un des chefs‑d’œuvre de Britten, qui y fut souvent joué, pour la première fois en 1963, un peu plus d’un an après sa création à la nouvelle cathédrale de Coventry qui avait été détruite par le Blitz et pour inaugurer la reconstruction de laquelle la commande lui avait été passée. Mais cette année, alors que le monde est à feu et à sang, le message pacifique que délivre Britten, lui‑même comme son compagnon Peter Pears, un des créateurs de l’œuvre, objecteurs de conscience et exilés aux Etats‑Unis d’Amérique pendant la Seconde Fuerre mondiale, prend une résonnance particulière dans un Royaume‑Uni lui‑même secoué par des émeutes en rapport avec des problème de racisme et d’immigration.


Pour composer ce requiem de guerre, Britten eut le coup de génie de mêler, avec un souci de clarté quasi maniaque, à la liturgie latine de la messe des trépassés des poèmes de Wilfred Owen, un soldat poète de la Première Guerre mondiale, écrits dans les tranchées de Normandie avant sa mort juste avant l’Armistice de 1918. Britten, qui ne sous‑estimait pas le rôle d’avertisseur des poètes et qui avait dédié ce War Requiem à quatre amis morts à la guerre ou de ses conséquences, ne s’est jamais arrêté de militer pour le pacifisme qu’il prônait dès bien avant la guerre, notamment dans sa collaboration avec le poète W. H. Auden, compagnon de son exil, avec des œuvres comme Our Hunting Fathers, Pacifist March, Sinfonia da Requiem et nombre de ses œuvres d’après‑guerre contiennent des messages subliminaires contre la violence et la victimisation des plus faibles. Pourtant constamment dans l’autocritique, il a toujours considéré ce War Requiem comme son œuvre majeure.


La première, le 30 mai 1962, en pleine guerre froide, juste avant la crise des missiles cubains, vit même son idée de confier les trois parties vocales à des solistes issus de pays alliés contrariée par les Soviétiques, qui refusèrent un visa à la soprano Galina Vichnevskaïa – elle en fit tout de même le premier enregistrement un an plus tard aux côtés de Dietrich Fischer‑Dieskau et Peter Pears, qui reste la référence absolue et a atteint des records de vente considérables pour l’époque (sous étiquette Decca aujourd’hui Universal).


Si l’œuvre convient si bien au lieu de concert des Proms, c’est que cette immense salle ovalaire avec ses galeries élevées permet une spatialisation tout à fait propice à en déjouer les pièges et difficultés acoustiques. Les immenses Chœur symphonique de la BBC et Chœur de l’Orchestre symphonique de Londres, magnifiquement préparés par Neil Ferris et Mariana Rosas, étaient installés dans les galeries surplombant la scène. Le non moins superbe et céleste Chœur de garçons de Tiffin School (qui regroupe des chanteurs de HM Chapel Royal, Hampton Court Palace et Temple Church), préparé par James Day, chantait du paradis dans les galeries les plus élevées. La soprano gallo-ukrainienne Natalya Romaniw, à la voix puissante, claire et colorée et aux aigus tranchants comme une épée, chantait sa partie perchée, bien au‑dessus de l’orchestre et sous le chœur. Les deux orchestres, le principal et le chambriste (ce dernier accompagnant le récit poétique, à l’origine dirigé par le compositeur), étaient bien répartis sur l’immense scène.


Seuls les deux solistes masculins (on note que les nationalités des solistes respectent l’idée de répartition originale de Britten), le ténor britannique Allan Clayton et le baryton américain Will Liverman, malgré des qualités de projection évidentes pour délivrer et souvent même jouer les textes poignants de Wilfred Owen, étaient parfois couverts par l’orchestre mais toujours audibles car chantant avec un grand souci de dramatisme quasi opératique. Cette sombre tension dramatique irradiait l’œuvre sous la direction d’Antonio Pappano, qui exaltait toutes les qualités d’un orchestre somptueux dont il s’apprête cette saison à prendre la direction musicale.


Une soirée d’une grande intensité musicale et émotive qui restera parmi les interprétations les plus brûlantes d’une œuvre au message hélas ! immortel.



Olivier Brunel

 

 

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