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Chanter au piano

La Roque
Parc du château de Florans
08/19/2024 -  
Gustav Mahler : Lieder eines fahrenden Gesellen : 1. « Wenn mein Schatz Hochzeit macht » – Rückert-Lieder : 2. « Ich atmet’ einen linden Duft » & 3. « Ich bin der Welt abhanden gekommen » (transcriptions Journaux)
Franz Schubert : Klavierstücke, D. 946 – Schwanengesang, D. 957 : 6. « In der Ferne » (transcription Franz Liszt) – Im Frühling, D. 882 – Nachtstück, D. 672 – Wandrers Nachtlied, D. 768 (transcriptions Journaux)

Juliette Journaux (piano)


J. Journaux (© Valentine Chauvin)


Juliette Journaux a choisi de développer sa jeune carrière musicale en ne se contentant pas d’être « simplement » pianiste : à son activité de soliste, elle ajoute celles d’accompagnatrice de chanteurs, de cheffe de chant au sein de différentes institutions lyriques et enfin de transcriptrice de mélodies pour son instrument. Cette curiosité polymorphe lui permet de cultiver avec résolution son amour des voix en général, et des transcriptions pianistiques en particulier, avec pour premiers fruits un disque publié par Alpha en 2023 et intitulé « Wanderer Without Words », dont son récital à La Roque‑d’Anthéron reprend une partie du programme.


Avant même de l’entendre et de la connaître, on ne peut que saluer sa curiosité et son courage, car s’il est bien un art difficile à nos yeux, c’est précisément celui de l’adaptation au piano des œuvres vocales. D’abord sur le plan de l’écriture instrumentale : la voix étant accompagnée, soit au clavier , soit à l’orchestre, c’est toujours une gageure que de vouloir confier à un seul pianiste ou une seule pianiste, et la mélodie chantée, et l’accompagnement pianistique ou orchestral ; en vérité, il y faudrait au moins trois mains ! Sur le plan de la finalité artistique ensuite : quel est en réalité l’intérêt de vouloir remplacer la voix par le seul piano ? Dans la mesure où une parfaite imitation est impossible, s’agit‑il de suggérer la mélodie vocale au plus près possible de l’original, de la paraphraser sur le clavier, ou au contraire de la transformer en une pièce véritablement pianistique ?


Pour que cette démarche transcriptive ou adaptative trouve sa pertinence, il faut bien le génie et la générosité d’un Franz Liszt, notamment grand promoteur à son piano de l’œuvre mélodique de Schubert. Et encore Liszt s’est‑il vu parfois reprocher, tout à sa volonté de mettre en valeur son devancier, de surcharger, sinon de trahir dans ses transcriptions la simplicité éloquente du lied schubertien. Toujours est‑il que la seule transcription lisztienne figurant au programme du récital de Juliette Journaux, celle de « In der Ferne » (issue de la célèbre adaptation intégrale du Chant du cygne au piano), sonne avec un éclat particulier : le grand geste lisztien est bien embrassé par l’interprète, et la pièce se déploie avec une dramaturgie habilement menée.


Avec ses propres transcriptions et en faisant entendre un piano à la sonorité profonde, dans laquelle les basses ont tendance à prendre le dessus sur la mélodie de la main droite, Juliette Journaux ose se mesurer avec aplomb à ce modèle difficilement égalable. En ouverture, l’adaptation du premier des Chants du compagnon errant est ainsi d’une belle facture pianistique, avec des silences habités, mais elle nous semble faire un peu du surplace. On est donc plutôt satisfait d’entendre la pianiste enchaîner avec un cycle purement pianistique, celui des Klavierstücke D. 946, dont elle donne une lecture engagée et percutante, en trouvant l’équilibre entre richesse harmonique et ligne mélodique. Dans les trois pièces, les transitions sont bien menées entre les épisodes tumultueux (qui prennent ici une tournure quasi beethovénienne) et les épisodes élégiaques, signe de l’assurance instrumentale et du sens proprement musical de Juliette Journaux.


Les transcriptions qui occupent toute la suite du récital nous paraissent gagner en intérêt au fil du programme, en particulier dans les pages schubertiennes. La merveilleuse douceur d’Im Frühling est mise en valeur par le choix d’un tempo retenu, et s’enrichit d’ornementations et de contrechants d’aspect lisztien ; l’épisode final plus agité se mue en quasi‑paraphrase et s’écarte non sans bonheur du lied original. Après un début un peu éteint, Nachtstück se déploie amplement, entre arpèges et croisements de mains, pour devenir une sorte de nocturne pré‑chopinien. Enfin, le Wandrers Nachtlied, très sobre, est un bel hommage pianistique au génie mélodique de Schubert. Les mélodies de Mahler (toutes deux extraites des Rückert-Lieder) sont en revanche d’un mouvement qui nous semble plus difficile à saisir au piano. « Ich bin der Welt abhanden gekommen » (« Je me suis détaché du monde ») s’enchaîne néanmoins bien avec le Wandrers Nachtlied. Prenant résolument à contrepied l’usage consistant à finir par un morceau de bravoure, Juliette Journaux fait entendre ce chant fragile et légèrement dissonant, qui s’amplifie avant de s’évanouir peu à peu pour clore ce programme réfléchi et original.


Deux nouvelles transcriptions sont proposées en bis, « Berceuse », premier des cinq Lieder opus 41 de Richard Strauss, et « Waldsonne », dernier des quatre Lieder opus 2 de Schönberg. Elles sonnent toutes deux très bien au piano, et laissent entrevoir la possibilité d’un deuxième volume de « mélodies sans paroles » mises au point par Juliette Journaux.


Le site de Juliette Journaux



François Anselmini

 

 

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